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Quelles solutions pour remplacer le service Autolib’ à Paris ?

Sia Partners propose un éclairage sur ce sujet en recensant les différents modèles d’autopartage, et notamment le concept de free-floating déployé dans d’autres métropoles européennes, et en proposant des pistes de réflexion quant à la situation parisienne.

En délicatesse depuis plusieurs semaines avec le service Autolib’, dont les déficits se creusent année après année [1], le Syndicat Autolib Vélib Métropole (SAVM) a récemment voté la résiliation du contrat qui le liait à l’industriel Bolloré, à qui l’exploitation du service Autolib’ était confiée [2]. La Mairie de Paris se tourne vers un grand nombre d’acteurs de la mobilité dans l’optique d’évaluer les possibilités de remplacer le service mis en place dans la capitale depuis 2011, dont l’arrêt définitif est prévu le 31 Juillet [3]. Sia Partners propose un éclairage sur ce sujet en recensant les différents modèles d’autopartage, et notamment le concept de free-floating déployé dans d’autres métropoles européennes, et en proposant des pistes de réflexion quant à la situation parisienne.

Le Free-Floating, le modèle alternatif à Autolib’ et son système à stations fixes

Autolib’, le principal service d’autopartage en métropole parisienne jusqu’alors

Déployé en métropole parisienne depuis maintenant 7 ans, le service Autolib’ constitue le système d’autopartage de référence de l’agglomération francilienne, mettant à disposition des usagers des automobiles électriques en libre-service. Il s’agit d’un système avec stations, lesquelles permettent d’une part d’emprunter ou de rendre les automobiles, et d’autre part de recharger ces dernières. Ce système est notamment comparable au système Vélib’, qui permet aux usagers d’emprunter et déposer des vélos au niveau de stations Vélib’, disposées dans les rues de Paris.

Aujourd’hui, Autolib’ représente plus de 4000 véhicules et plus de 1000 stations [4] dans Paris et sa proche banlieue. Ce service fut d’abord accueilli avec succès, grâce au caractère novateur de son modèle, reposant sur l’autopartage de voitures électriques. Pour les usagers souhaitant utiliser Autolib’, le service est payant à la réservation (1€) et à l’utilisation (32c€ /minute). Il est également possible de souscrire à un abonnement annuel (10€/mois), et de pouvoir profiter du service en payant 23c€/minute [5].

 

Un modèle fragile qui a débouché sur des tensions entre la Mairie de Paris et le Groupe Bolloré

Toutefois, de plus en plus d’acteurs privés non subventionnés ont récemment proposé de nouveaux services en mobilité, tels que les VTC, les scooters en libre-service (Cityscoot), ou encore les vélos (avec stations, comme Vélib’, ou non, comme Ofo, Obike et Mobike). En conséquence, Autolib’ a constaté une baisse de fréquentation de son service depuis 2016, et donc un déficit bien plus important que ce que laissaient apparaître les prévisions. Lors de la contractualisation entre le SAVM et le Groupe Bolloré, une clause était prévue limitant le déficit du groupe industriel à 60M€. Le déficit cumulé depuis 2011 étant estimé à plus de 300M€ au terme du contrat courant jusqu’en 2023, le Groupe a demandé à la Mairie de Paris une subvention annuelle de 46M€/an sur les 5 ans à venir [1] afin de maintenir la limite de déficit prévue au contrat.

 

Le free-floating, un modèle alternatif particulièrement attractif

La perte de parts de marché enregistrée par Autolib’ met notamment en évidence l’émergence du modèle de free-floating. Ce concept, qui se décline sur le vélo, le scooter, l’automobile ou encore la trottinette électrique dans plusieurs pays du monde, consiste à mettre à disposition du public un moyen de locomotion sans passer par des stations dédiées. Ce modèle détient plusieurs avantages :

-           Pour les usagers : Souplesse et simplicité d’utilisation.

-           Pour les opérateurs : Service facilement déployable et facilement extensible nécessitant moins de trésorerie au lancement (pas besoin d’installer de nouvelles stations pour s’étendre et donc pas d’investissements couteux liés aux infrastructures).

-           Pour les pouvoirs publics : A priori, pas ou peu de subventions demandées par les opérateurs, sous certaines conditions (voir plus loin les modèles mis en place à l’étranger).

L’enjeu pour les pouvoirs publics est de pouvoir sécuriser un modèle économique impliquant aussi bien l’usager (quel tarif d’utilisation ?) que le contribuable (besoin de subvention publique ?), via une répartition qu’il convient de jauger et d’adapter au cas parisien. Les exemples allemand et espagnol permettent d’apporter un éclairage à ce sujet.

Les débuts du free-floating en Allemagne et l’exemple de la bataille de Madrid

L’Allemagne, précurseur du free-floating en Europe

Les premiers services d’autopartage en free-floating en Europe se sont développés en Allemagne [6] à partir de 2011, à Berlin d’abord, puis Cologne, Düsseldorf, Hambourg et Munich avant de se généraliser dans de nombreuses villes. Aujourd’hui, plus de 150 fournisseurs assurent des services d’autopartage en free-floating en Allemagne. On peut citer les partenariats suivants entre constructeurs et opérateurs aujourd’hui bien installés chez nos voisins allemands : Daimler et Europcar, BMW et Sixt, Citroën et Deutsche Bahn Rent. Cette dernière offre se démarque des autres car elle est la première à avoir introduit une flotte exclusivement électrique (avec le modèle Citroën C-Zéro) dans le marché du free-floating allemand. Depuis, les autres constructeurs (Daimler, BMW) se sont également positionnés sur une offre 100% électrique. Daimler et BMW ont par ailleurs fusionné leurs services de mobilité en mars 2018 (Car2Go et DriveNow), cette offre rassemble aujourd’hui plus de 20 000 véhicules dans une trentaine de villes (pour environ 4 millions de clients). Le free-floating participe à la densité de l’offre de services de mobilité en Allemagne, ce modèle cohabitant avec les services de réservation de taxis (exemple : Mytaxi) ou encore les services d’auto partage avec stations (exemples : Flinkster, Cambio).

 

Madrid, la capitale de l’autopartage en free-floating

A Madrid, l’autopartage en free-floating a été déployé en 2015 [7] avec le service Car2Go, en partenariat avec le constructeur allemand Daimler. Puis ce fut le tour en 2016 du service Emov, géré par la société d’autopartage Vulog, en association avec le constructeur PSA et le partenaire espagnol Eysa. Depuis, le service Zity s’est également lancé fin 2017, associant Renault et l’opérateur Ferrovial.

On compte ainsi dans les rues de Madrid :

-           Environ 400 modèles Daimler (et plus de 190 000 abonnés au service correspondant, Car2Go)

-           Plus de 600 Citroën C-Zero électriques (et plus de 180 000 abonnés au service correspondant, Emov)

-           Et 500 voitures Renault Zoé électriques (et environ 10 000 abonnés au service correspondant récemment implanté, Zity)

La capitale espagnole présente à ce jour le taux d'utilisation des services d’autopartage le plus élevé d’Europe, entre 13 et 15 utilisations par voiture et par jour (contre 5 utilisations par jour et par voiture à Paris) [8].

 

Un modèle économique qui a fait ses preuves à l’étranger

En Allemagne, à Madrid ou encore à Lisbonne, le modèle économique est semblable : les opérateurs ne demandent pas de subventions aux pouvoirs publics, en échange de quoi un accord est trouvé concernant le stationnement : tout véhicule électrique en free-floating peut être garé gratuitement, y compris sur des emplacements en principe payants.

Concernant les utilisateurs, les tarifs à la minute varient entre 20 et 25c€ [9], soit des tarifs comparables à ceux d’Autolib’ à Paris, lorsqu’un abonnement est souscrit. 

Quel modèle et quels acteurs de l’autopartage à Paris dans les années à venir ?

La Mairie de Paris se penche sérieusement sur les solutions d’autopartage en free-floating, s’inspirant ainsi des exemples allemands ou espagnols, qui se distinguent à la fois en termes de résultats économiques et en termes de qualité de service et de satisfaction des usagers.

Ceci n’empêche pas la collectivité de réfléchir à la mise en place d’un modèle économique spécifique. Se pose notamment la question de la gestion de l’occupation de l’espace public, gratuite chez nos voisins allemands, espagnols et portugais, donc assumée par la collectivité qui doit payer le manque à gagner résultant d’une perte de recettes issues du stationnement payant pour les véhicules de particuliers. Une autre solution consisterait à faire payer le stationnement des véhicules par l’opérateur. Certains fournisseurs de service comme l’association PSA – Vulog se disent d’ailleurs prêts à étudier la mise en place d’un forfait de stationnement dont ils assumeraient le coût [10].

 

Un écosystème à prendre en compte pour le modèle parisien

Par ailleurs, la rentabilité de ces services dépend du nombre de véhicules déployés dans la capitale parisienne. Des études estiment que 1000 véhicules en free-floating sont nécessaires dans Paris intra-muros pour envisager, d’une part, un fonctionnement opérationnel performant [11] (facilité à trouver des véhicules pour l’usager) et d’autre part des bénéfices économiques [12]. Le taux d’utilisation prévisionnel des véhicules doit également tenir compte de la diversité de l’offre de mobilité au sein de la capitale, avec la présence de loueurs de voitures et autres startups proposant des services de mobilité (exemple : Drivy), sans compter les services impliquant d’autres modes de transport (vélos, scooter).

 

De nouveaux acteurs se positionnent pour proposer des services de free-floating

Quoi qu’il en soit, de nombreux acteurs de la mobilité se sont déjà manifestés auprès de la Mairie de Paris pour proposer de nouvelles solutions d’autopartage, qu’il s’agisse de constructeurs automobiles (PSA, Renault, BMW, Daimler, Volskwagen, Toyota) ou de fournisseurs de services en mobilité (Car2Go, Vulog, Communauto, Drivy, Sixt, Hertz, etc).

Avec la fin du service Autolib, la mairie de Paris a d’ores et déjà répondu favorablement à certaines propositions. En effet, un premier partenariat avec Renault Nissan a été signé prévoyant la mise en place pour la rentrée d’une flotte de plusieurs centaines de ZOE pour atteindre ensuite 2000 véhicules d’ici fin 2019. L’offre devrait également comporter plusieurs types de mobilité. Contrairement à Autolib, le partenariat n’est pas exclusif et PSA a également officialisé son intention de déployer 500 voitures électriques lors du dernier trimestre 2018 sous la marque Free2Move [13]. Ada, filiale exploitant notamment le service de taxis G7, a également manifesté son intérêt. Comme attendu, les premiers acteurs se positionnent rapidement avec l’ouverture du marché consécutif au retrait du Groupe Bolloré dans la capitale française.

Afin d’encadrer l’apparition des véhicules en freefloating, le conseil de Paris devrait instaurer une licence annuelle permettant aux voitures électriques de se déplacer et de stationner gratuitement. Cette carte d’autopartage, dont le prix oscillerait entre 300€ et 500€ pour chaque voiture, serait applicable dès la mi-juillet et illustre une volonté de passer rapidement à un nouveau modèle.

Conclusion

Le modèle de l’autopartage en free-floating a démontré dans plusieurs villes sa solidité et sa durabilité, tout en récoltant la satisfaction des usagers. Pour autant, la Mairie de Paris doit, avant de valider ce modèle, détailler le modèle économique à prévoir ainsi que la gestion de l’espace urbain.

Les exemples de mise en place de services d’autopartage en free-floating mettent en évidence la complémentarité entre le véhicule en libre-service et les transports en commun, en effet, il a été constaté que les véhicules en libre-service servaient la plupart du temps à se rapprocher d’un point de desserte par les transports collectifs urbains. Les observateurs attribuent d’ailleurs une grande part du succès du déploiement des services en free-floating à la qualité des réseaux de transport (métro, tramway, bus).

Enfin, cette problématique doit être analysée dans une perspective long terme, en prenant également en compte l’impact de l’arrivée du véhicule autonome. Il s’agit en effet d’évaluer dans quelle mesure un service en free-floating - permettant aux usagers d’accéder plus facilement à un véhicule -  pourra résister à un service qui permettra aux usagers de voir un véhicule venir directement à lui.