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Les bornes de recharge pour Véhicules Electriques dans l’habitat collectif : une pièce manquante du puzzle français

Signé en 2016 par la Ministre de l’Ecologie, le programme d’Aide au Développement des Véhicules Electriques grâce à de Nouvelles Infrastructures de Recharge (ADVENIR), porté par Avere-France, ambitionne de contribuer à l’équipement du territoire en bornes de recharge pour véhicules électrique.

Le programme ADVENIR veut notamment s'attaquer à deux segments de marché : les parkings des entreprises et ceux du résidentiel collectif. La convention ADVENIR affiche un objectif de 5 700 points de charge pour l’habitat résidentiel collectif, et 6 300 pour les parkings privés des entreprises d’ici 2018. L’habitat résidentiel collectif est aujourd’hui le parent pauvre de l’installation de bornes de recharge sur des parkings privés. Pourtant, ce segment de marché quasiment inexploité aura une influence significative sur le développement de l’électromobilité. 

Un gisement d’utilisateurs potentiels du véhicule électrique encore inexploité

Les zones urbaines sont à l’heure actuelle le milieu de prédilection du véhicule électrique. Les déplacements quotidiens des habitants des zones urbaines sont plus courts, plus adaptés à l’autonomie du véhicule électrique. En outre, le véhicule électrique apporte une réponse à la pollution automobile des villes, et consomme moins qu’un moteur thermique quand il est froid.

Les espaces dans lesquels sont installés les points de recharge des véhicules électriques ont également une importance. Les déplacements entre le lieu de travail et le lieu d’habitation constitueraient l’essentiel des déplacements en véhicule électrique. Les habitudes de rechargement des adeptes de l’électromobilité sont pour le moment essentiellement portées sur la recharge à domicile : 80% à 95% des recharges auraient lieu à domicile, selon les études[i].

Ces éléments indiquent que le profil-type de l’utilisateur du véhicule électrique est un habitant des zones urbaines, disposant d’un logement lui permettant aisément d’installer une borne de recharge. Les habitants d’un logement disposant d’un garage ou d’un parking pourraient être plus enclins à investir dans un véhicule électrique, ayant l’assurance de pouvoir le recharger chaque jour à domicile.

Les zones urbaines représentent plus de 22 millions de logements en France, dont plus de 50% sont des logements en immeuble résidentiel collectif. Parmi ces derniers, 4,3 millions disposent d’un parking, selon les chiffres de l’Enquête Nationale Logement de 2013.[ii] Cela représente plus d’un tiers du marché potentiel de bornes de recharge résidentielles en milieu urbain. En se limitant aux zones urbaines de plus de 100 000 habitants, le résidentiel collectif représente près de la moitié de ce marché, avec 3,2 millions de logements disposant d’un parking.

Ainsi, les logements en immeuble collectif, disposant d’un parking, représentent une part importante des logements en zone urbaine. L’absence de possibilité de recharger son véhicule à domicile pourrait être rédhibitoire pour une personne désireuse d’investir dans un véhicule électrique. Or, les difficultés logistiques et le manque de solutions clé en main pour l’installation de points de recharge dans les parkings d’immeubles privent le segment de l’électromobilité de ce vivier d’utilisateurs potentiels considérable.

Des freins sociaux, économiques et techniques au déploiement de bornes dans le résidentiel collectif

Dans les immeubles en copropriété, les propriétaires sont souvent réticents à la réalisation de travaux, d’autant plus qu’il peut y avoir une difficulté à désigner les porteurs de coûts d’un projet d’installation de bornes de recharge électrique. En effet, les copropriétaires n’ayant pas de voiture électrique peuvent être réfractaires à payer pour un service qu’ils n’utiliseront pas. Les utilisateurs isolés du véhicule électrique pourraient également se sentir lésés par le paiement intégral d’une infrastructure qui pourrait bénéficier à d’autres dans le futur. Depuis 2015, le droit à la prise permet à tout locataire ou copropriétaire d’effectuer une demande d’installation de bornes au syndicat de copropriété, qui ne peut refuser sauf en cas de nuisance ou difficulté majeure[iii]. En cas de réponse négative, le tribunal d’instance est saisi. Les travaux peuvent être à la charge du demandeur uniquement dans le cas d’une installation individuelle, ou à la charge de la copropriété si plusieurs bornes sont envisagées.

En pratique, les bornes de recharge peuvent être raccordées directement au tableau électrique du logement de l’utilisateur (sous réserve de l’adapter), ou être connectées au tableau d’alimentation des parties communes de l’immeuble, ou encore être connectées en « grappe isolée », via l’installation d’un nouveau tableau électrique spécifiques aux VE.[iv] Le schéma ci-dessous détaille les architectures possibles et leurs caractéristiques.

Parmi ces trois solutions, la première est très rarement envisagée car elle n'est réalisable techniquement que dans des conditions très spécifiques, nécessite des coûts importants pour le copropriétaire (il s’agit parfois de doubler la puissance souscrite du ménage !) et est peu modulaire. Le raccordement sur les parties communes est possible s’il reste suffisamment de puissance pour tous les véhicules et en installant un compteur en décompte. La solution la plus aisée est souvent l’installation d’un nouveau point de livraison spécifique. Dans les deux cas, un système de gestion de l’énergie semble indispensable pour éviter des dépassements de puissance souscrite qui peuvent mettre à mal les disjoncteurs, et pour optimiser la facture énergétique des utilisateurs. En effet, comme illustré ci-dessous, en l’absence de système de gestion de l’énergie, les parties communes ou le nouveau point de livraison peuvent être soumis à des soutirages importants aux heures de pointe, correspondant au retour des automobilistes à leur domicile (par exemple à 19h). Si la recharge du véhicule est lancée dès son branchement, il y a un risque important de dépassement de la puissance souscrite, et donc de disjonction, si trop de véhicules sont rechargés en même temps.

Pour pallier ce problème, de nombreux travaux sont en cours pour optimiser la recharge d’une flotte de véhicules, en commandant le début de la recharge d’un véhicule connecté à une borne, en fonction notamment de la charge actuelle sur le réseau local.

Installer un système de recharge de véhicules électriques dans un immeuble collectif s’avère donc assez complexe, car de nombreux aspects doivent être pris en compte : architecture de raccordement, installation, maintenance, système de comptage, de facturation, sécurité, gestion de l’énergie. En l’absence d’une offre clé en main, proposée par un acteur ou un consortium maîtrisant l’ensemble du processus, la présence de bornes de recharge pour VE restera limitée dans le résidentiel collectif.

Des premiers acteurs positionnés pour capter les opportunités de ce gisement

Pour proposer et évaluer des solutions techniques envisageables et les modèles économiques viables, des premiers acteurs impliqués dans la mobilité électrique se sont réunis dans un consortium répondant à un appel d’offre de l’ADEME : BienVEnu.  L’objectif est de mener un projet pilote dans une dizaine d’immeubles, entre 2015 et 2018[v]. L’offre BienVEnu est ajustable et comprend les bornes de recharge et un service d’autopartage pour les résidents. Elle couvre la gestion des consommations, la facturation, l’assistance pour faciliter les démarches auprès du syndicat de copropriété, l’appui juridique et technique, la maintenance et l’installation.

Comme le prouve le projet BienVEnu, l’implantation de bornes de recharge dans le résidentiel collectif peut constituer à terme une opportunité pour divers acteurs de la mobilité électrique, aussi bien les équipementiers (pour la fourniture de câbles, de bornes, de systèmes de gestion de la charge) que des opérateurs de mobilité électrique qui pourraient proposer des services innovants : auto-partage de véhicules appartenant à la copropriété, location de véhicules par leurs propriétaires…

La plateforme Clem', partenaire du projet BienVEnu propose ce service aux habitants des premiers immeubles du projet, avec la mise à disposition de véhicules électriques en autopartage, pour tous les habitants du site. Les énergéticiens peuvent également être intéressés par ce nouveau segment de marché et proposer par exemple des offres de fourniture d’électricité spécifiques aux copropriétés, à l’instar de l’offre Véhicule Electrique d’Engie avec des tarifs préférentiels la nuit, lancée récemment.

Les conclusions et préconisations de ce projet seront importantes pour l’avenir de l’installation des bornes de recharge dans l’habitat collectif. Les solutions techniques progressant rapidement, le changement des habitudes des résidents d’immeubles et l’acceptabilité des coûts de ces services de recharge, en particulier en copropriété, constitueront vraisemblablement les principaux enjeux pour l’essor de ce segment de marché de l’électromobilité.


Sources et Notes : 

[i] Voir par exemple les études Evolution, « Electric Vehicle in Europe : gearing up for a new phase ? », l’enquête IPSOS 2014, « Les Français, la mobilité et les véhicules électriques », l’enquête Club Alsace VE et ChargeMap, enquête sur la recharge des voitures électriques en France

[ii] INSEE, Enquête Nationale Logement, 2013

[iii] Journal Officiel, 1er Novembre 2014, décret n° 2014-1302

[iv] UNARC, La voiture électrique dans les copropriétés en 25 questions

[v] Site internet du projet BienVEnu, www.bienvenu-idf.fr