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Les limites de la loi EGalim pour lutter contre le gaspillage alimentaire

Adopter des outils de lutte contre le gaspillage alimentaire à la mesure des ambitions nationales nécessite d’adresser rapidement les limites des dispositifs existants

Le gaspillage alimentaire se réfère à « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à un endroit de la chaîne alimentaire est perdue, jetée, dégradée » [i]. Les organisations internationales et les pouvoirs publics s’attaquent de plus en plus à ce phénomène, qui impacte financièrement tous les maillons de la chaîne alimentaire, et dont les consommateurs ont davantage pris conscience ces dernières années. Depuis 2013, et la signature du premier Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, la France se dote d’outils de lutte pour réduire les pertes alimentaires à toutes les étapes de la chaîne. En 2020, le pays renforce ses objectifs avec la promulgation de la loi AGEC, qui entérine l’objectif de réduction de 50% du gaspillage alimentaire d’ici 2025. Cet objectif a été préparé par des lois votées depuis 2015. Bien qu’ayant une portée et des objectifs plus ambitieux que les lois qu’il complète, le dispositif EGalim se heurte à des limites.

Le gaspillage alimentaire : un enjeu majeur pour les pouvoirs publics et chaque producteur

En France, les quantités de pertes alimentaires s’élèvent à 10 millions de tonnes/an [ii] réparties sur l’ensemble de la chaîne de valeur (cf. fig.1), représentant un fort enjeu écologique et social. Ainsi, 30% des terres arables dans le monde sont utilisées pour produire des aliments destinés à être perdus [iii] et l’équivalent de 3,6 fois la consommation d’eau étasunienne [iv] (250 km3) est utilisée pour produire des aliments qui seront gaspillés. Le processus de production de ces aliments fait du gaspillage alimentaire un pollueur conséquent : avec un impact carbone de 15,3 millions de tonnes équivalent CO2, il représente 3% des émissions nationales de gaz à effet de serre [v].

Fig.1 : Répartition des pertes et gaspillages alimentaires le long de la chaîne de valeur (infographie Sia Partners d’après les données de l’ADEME (2016)).

Outre les questions sociales et environnementales que pose le gaspillage alimentaire, ce phénomène représente également un enjeu financier pour chaque acteur de la chaîne, les encourageant à mettre en place des actions pour limiter les pertes alimentaires. « Au-delà de tout ce que représente le gaspillage alimentaire, l’enjeu économique qui va derrière est colossal… Cela représente des économies potentielles très significatives et un projet vertueux pour lequel nous avons toutes les cartes en mains. » note Sabine Maillot, Directrice RSE et Développement Durable du Groupe de restauration collective Compass.

Ainsi, les aliments jetés représentent des pertes de 16 milliards d’euros/an, présentes à chaque étape de la chaîne alimentaire, de la production à la consommation [vi]. Celles-ci touchent le plus fortement les restaurateurs privés (cf. fig.2) :

Fig.2 : Coût annuel des pertes liées au gaspillage alimentaire par secteur (en milliards d'euros) (infographie Sia Partners d’après les données de l’ADEME (2016, 2019), du SNRC (2016), de l’ADEME et de la CCI Maine-et-Loire (2018), et de Gira foodservices (2018)).

NB : Le périmètre de cet article étant limité aux producteurs de gaspillage alimentaire ciblés par la loi EGalim, ce graphique n’inclut pas les coûts des aliments gaspillés lors de la production et du transport des denrées.

Face à ces enjeux, les pouvoirs publics adoptent des règlementations visant à encadrer et à réduire les pertes alimentaires (cf. fig.3). Ces dispositifs ciblent différents acteurs, et préparent l’objectif de réduction de 50% des quantités gaspillées d’ici 2025 insufflé par le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire et entériné par la loi AGEC. Adoptée en 2018, la loi EGalim renforce les contraintes s’appliquant déjà aux grandes et moyennes surfaces (GMS) et impose de nouvelles mesures contraignantes aux restaurateurs collectifs privés, aux restaurateurs privés et aux industries agroalimentaires. Si ces lois permettent d’accélérer la démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire et de suggérer des objectifs, de nombreuses solutions proviennent également du marché.

Nous saluons ces lois, elles tirent le secteur vers le haut, mais nous avons besoin de nos clients pour mettre en place de réels changements.

Sabine Maillot

Figure 3 : Chronologie des dispositifs règlementaires visant à lutter contre le gaspillage alimentaire (GA) (infographie Sia Partners)

Les limites de la loi EGalim

Les objectifs de réduction de gaspillage alimentaire introduits par la loi AGEC sont ambitieux. Si la loi EGalim cible l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, elle comporte de nombreuses limites et induit des effets pervers nuisant à son efficacité.

Les limites induites par les mesures mises en place par la loi

  • Afin de mieux rémunérer les agriculteurs, cette loi encadre très fortement les pratiques promotionnelles : les remises doivent respecter le nouveau seuil de revente à perte (10%) et ne peuvent excéder 34%, dans la limite de 25% du volume annuel vendu par l’enseigne. Ainsi, face à la complexité du calcul des promotions et à la dureté des sanctions, les distributeurs sont peu encouragés à procéder au stickage (pratique visant à apposer un autocollant promotionnel sur un produit afin d’encourager son achat) des produits dont la date de durabilité minimale approche, n’incitant pas les consommateurs à l’achat de denrées sur le point de périmer.
  • Si EGalim oblige les acteurs de la restauration collective à mettre en place un diagnostic et à engager une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire, elle ne précise pas la forme et les modalités de contrôle de ces actions. Sans consigne commune, les efforts des acteurs de la restauration collective resteront disparates et ne permettront pas une lutte efficace et homogène contre le gaspillage alimentaire en restauration collective à l’échelle nationale.
  • Les dispositifs existants de lutte contre le gaspillage alimentaire, dont la loi EGalim, sont dotés de mesures correctives, encourageant les acteurs à gérer les invendus en aval de la chaîne (dons, valorisation…). Cependant, ces incitations aux mesures correctives ont deux effets pervers. Tout d’abord, les modalités de leur mise en place ne sont pas précisées par la loi et les acteurs sont relativement peu aidés par les pouvoirs publics dans le processus de don (mise en place d’une organisation adaptée, gestion des risques d’incidents sanitaires…). « Les dons sont une évidence et il est clé de structurer au sein de chaque territoire pour que cela devienne systématique, mais à noter que c’est une action qui n’est pas si simple à mettre en place, ce n’est pas massifié car chaque association a ses contraintes. Il y a toute une organisation à mettre en place.» souligne Sabine Maillot. « Par exemple, une association ne se déplacera pas pour quelques paniers, ça lui coûte trop cher. » De plus, encourager au don peut déresponsabiliser les acteurs sur la réduction en amont de leur gaspillage, alors que « le nerf de la guerre, c’est de réduire plutôt que de donner ». Les mesures visant à prévenir le gaspillage alimentaire semblent aujourd’hui être limitées à la restauration collective, via l’obligation de mise en place d’une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire et d’un diagnostic des pertes, et gagnerait à être généralisée à l’ensemble des acteurs.

Les points d’attention non adressés par la loi

  • Les activités des nouveaux acteurs du don (intermédiaires, application de revente d’invendus) sont actuellement peu encadrées par les dispositifs en vigueur. Or, ces nouveaux acteurs réorganisent les flux de don (par exemple : les applications de revente d’invendus captent une partie des denrées autrefois réservées aux associations, la logique de rentabilité des intermédiaires peut entraîner un plus faible flux de dons vers de petites associations locales…).
  • Le dispositif EGalim n’adresse pas non plus l’effet de seuil induit par le plafonnement des déductions fiscales à 0,5% du chiffre d’affaire (CA) HT. En l’absence de défiscalisation sans plafond de tous les dons alimentaires, les GMS peuvent préférer un autre mode de gestion des invendus, réduisant les quantités cédées aux associations.
  • A ce jour, aucun indicateur homogénéisé par typologie d’acteur n’est proposé pour suivre le gaspillage alimentaire et les actions anti-gaspillage, ne permettant pas de comparaison, ni de suivi de la traçabilité des invendus. Cela a pour effet de limiter la portée des obligations législatives et de compliquer le suivi de leur respect par les pouvoirs publics.
  • La loi n’incite pas à la territorialisation des actions (via l’élaboration de Plans alimentaires territoriaux ou la création de Réseaux de lutte contre le Gaspillage Alimentaire), des outils puissants de lutte contre le gaspillage alimentaire à l’échelle locale. En l’absence de ces incitations, les acteurs locaux risquent de continuer à travailler en silos et hors réseaux, limitant la portée d’actions de lutte contre le gaspillage alimentaire non-coordonnées.

 

Les leviers d’action face à un objectif très ambitieux de réduction de gaspillage alimentaire de 50% d’ici 2025

Il est tout d’abord nécessaire de clarifier l’objectif de 50% de réduction du gaspillage alimentaire inscrit dans la loi AGEC. En effet, ce dernier ne contraint juridiquement pour le moment aucun acteur, et se pose comme un objectif national. Ce manque de clarté fait réagir les professionnels du secteur :

L'objectif de moins 50% n’est pas encore officiel ni obligatoire, ça reste flou, donc cela doit venir des acteurs du marché.  Si on veut vraiment être efficace, cet objectif doit rapidement être imposé. Car les choses ne se mettront pas réellement en place sans ce signal.

Sabine Maillot

De plus, il parait essentiel de coupler efficacement la lutte en aval et en amont contre le gaspillage alimentaire via des incitations et/ou des obligations règlementaires, afin d’encourager tous les producteurs de gaspillage alimentaire à mettre en place des actions préventives plutôt que correctives.

Par exemple, dans le sillage des mesures de la loi AGEC visant à optimiser la gestion des stocks, inciter, voire obliger les GMS à produire des audits internes de gaspillage alimentaire et de traçabilité des invendus garantirait davantage le respect des objectifs que des inspections externes. Proposer des pistes d’amélioration concrètes en fonction de l’issue du diagnostic pour la restauration collective peut également permettre de rendre plus efficace et homogène la lutte contre le gaspillage alimentaire à l’échelle nationale.

De plus, il paraît primordial d’encadrer les nouveaux acteurs de la Food Tech, de poursuivre les efforts de hiérarchisation des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire initiés par la loi Garot et de renforcer l’obligation de s’assurer de la bonne qualité des denrées données (notamment pour les acteurs hors GMS, par exemple industries agroalimentaires), afin d’alimenter en dons de qualité le plus d’associations possible sur l’ensemble du territoire.

Enfin, les ajustements règlementaires à apporter pour lever les freins à la lutte contre le gaspillage alimentaire tout en améliorant son efficacité doivent émaner des acteurs opérationnels pour garantir leur acceptabilité. Ainsi, aller à la rencontre d’acteurs du terrain (ex : démarche d’enquête pour la rédaction du rapport d’évaluation de la Loi Garot [vii]) et poursuivre les efforts d’expérimentation (ex : « 10 distributeurs engagés contre le gaspillage alimentaire » [viii]) sont des prérequis pour lutter plus efficacement contre le gaspillage alimentaire.

 

Ainsi, le gaspillage alimentaire, catastrophe écologique qui coûte des dizaines de millions d’euros par an à tous les acteurs du secteur agro-alimentaire, doit être adressé de façon efficace par les pouvoirs publics. Des objectifs clairs et ambitieux sont nécessaires, et afin de les atteindre, des mesures contraignantes prenant en compte tous les enjeux de la filière doivent être prises. Si la France veut réduire de 50% ses pertes alimentaires évitables, les effets pervers des dispositifs en vigueur nécessitent d’être traités en amont de 2025 via des mécanismes d’incitation, d’obligation et de contrôle.

 

Sources 

[i] Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 2013, Pacte National de Lutte contre le Gaspillage Alimentaire

[ii] ADEME, 2016, Etat des lieux des masses de gaspillages alimentaires et de sa gestion aux différentes étapes de la chaîne alimentaire

[iii] FAO, 2019, The State of Food and Agriculture

[iv] FAO, 2013, Toolkit: Reducing the Food Wastage footprint

[v] ADEME, 2016, Pertes et gaspillages alimentaires : l'état des lieux et leur gestion par étapes de la chaine alimentaire

[vi] ADEME, 2016, Etat des lieux des masses de gaspillages alimentaires et de sa gestion aux différentes étapes de la chaîne alimentaire

[vii] Melchior, G., Garot, G., 2019, Rapport d’information déposé en application de l’article 145-7 du règlement par la Commission des Affaires économiques sur l’évaluation de la loi n° 2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire

[viii] ADEME, 2016, La Distribution engagée contre le gaspillage alimentaire

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