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Interview : Jean-Claude Laroche

Directeur des Systèmes d'Information chez Enedis.

Enedis est une entreprise de service public, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité sur 95 % du territoire français continental. Elle développe, exploite, modernise le réseau électrique et gère les données associées. Créée en 2008, cette filiale d’EDF compte aujourd’hui près de 38 700 collaborateurs répartis sur environ 800 implantations territoriales.

Quels sont les grands facteurs d’évolution auxquels est confrontée votre organisation / votre DSI ?

La DSI d’ENEDIS s’inscrit dans un contexte particulier ; en effet, ENEDIS a fait preuve ces dernières années d’un volontarisme fort quant à la numérisation du réseau de distribution : le programme de déploiement du compteur communicant Linky, brique de base de l’informatisation du réseau, a été réalisé de manière extrêmement rapide : avec 30 000 compteurs déployés par jour, ENEDIS compte désormais plus de 19 millions de compteurs, ce qui a eu des impacts majeurs sur le SI. A titre d’exemple, la taille physique du système d’information (nombre des serveurs notamment) a quasiment doublé en 2 ans et continuera à augmenter dans les années à venir.

Ce contexte sans précédent a pour conséquences 7 défis majeurs, dont certains sont spécifiques au contexte particulier d’ENEDIS.

 

1. La maîtrise de la croissance du SI (scalabilité du SI) : au regard de notre contexte, il est vital de repenser la manière dont fonctionne notre SI et d’engager un travail de fond concernant l’urbanisation fonctionnelle et technique.

« Nous devons embarquer des architectes et des urbanistes de haut niveau, à même de comprendre les enjeux de l’entreprise et de la DSI »

Le recrutement de ces profils est un défi, au regard de la rareté et la forte demande de ces profils, d’une part, et de leur niveau de rémunération, d’autre part.

2. L’accompagnement du changement pour les équipes sur le terrain : la numérisation croissante de la relation avec nos clients nous a conduit à ENEDIS à faire évoluer nos organisations, nos processus métiers et nos outils (y compris nos systèmes d’information), ce qui a des impacts considérables en matière de conduite du changement. Le rapprochement des équipes d’intervention en clientèle et des équipes d’intervention techniques, aux pratiques très différentes, nécessite un travail de reconversion important qui doit être accompagné. Naturellement la DSI est fortement engagée dans la conduite de ce changement, qui concerne également ses propres métiers.

« Il faut accompagner le rapprochement des équipes venant de mondes très différents, et la transformation de la plupart des métiers opérationnels »

3. La réponse aux pressions de plus en plus fortes des demandes métier : cette pression est accentuée à la fois par les demandes des pouvoirs publics en  termes de services supplémentaires proposés par ENEDIS (en particulier liés au comptage intelligent) et par les demandes des collectivités dans le cadre du renouvellement des contrats de concession.

« Afin de répondre efficacement à ces demandes, nous devons être en mesure de manager par la valeur la couverture fonctionnelle du SI »

4. L’absorption des effets de volumes par des gains de productivité de nos équipes : notre DSI est dans une situation atypique, le Build représentant 50% de  notre activité. La maîtrise des enjeux financiers est de fait une préoccupation majeure, d’autant plus que nous nous inscrivons dans un contexte de ressources contraintes - le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité évoluant peu – couplé à une ambition de passage à l’agile à l’échelle, nécessitant un investissement important.

« Nous avons besoins de contrôleurs de gestion de haut vol, connaissant les DSI, la méthode Safe et maîtrisant parfaitement les modèles de coûts et les paramètres associés »

5. La réduction du taux d’externalisation de la DSI, particulièrement élevé chez ENEDIS, avec pour ambition de passer de 90% à 60% de ressources externes. Cet objectif n’est pas sans poser quelques difficultés dans la gestion de nos Ressources Humaines : en effet, nous devons réussir à attirer des ressources externes, dans un contexte marché en tension – les ressources sont rares et chères – et, une fois attirées, réussir à les fidéliser, alors qu’il est parfois difficile de leur offrir des perspectives de carrière. C’est pourquoi nous devons élargir nos viviers de recrutement traditionnels en combinant recrutement externe, mobilité intra filière SI et ouverture à d’autres types de profils en interne, et notamment des agents d’exécution et de maîtrise. A ce titre, nous avons mis en place un dispositif ambitieux appelé « Emplois de demain », alternant formation et immersion à la DSI, permettant d’attirer des collaborateurs issus d’autres métiers.

« Le dispositif « Emplois de demain » est un atout pour la DSI : il permet d’attirer des collaborateurs qui connaissent ENEDIS, n’ont pas peur de l’informatique, et qui, grâce à leur expérience passée, seront pertinents dans leur connaissance des métiers ».

L’internalisation de nos activités va jusqu’à intégrer le codage : avec le passage à l’agile et la nécessité de maîtriser le code de nos systèmes, nous avons décidé de reformer des codeurs dans les équipes agiles, notamment pour être capables de réaliser des audits de code.

6. La performance de nos infrastructures : les infrastructures informatiques n’ont pas été conçues dès l’origine pour tenir la charge associée au déploiement de l’ensemble des compteurs et la multiplication des données à exploiter.

« En termes d’infrastructure, nous devons atteindre une performance comparable à celle des GAFA »

Nous devons être en capacité de construire des infrastructures hautement scalables, automatisées et capables de s’auto-réparer. Pour répondre à ces enjeux, les entreprises comme la nôtre ne disposent pas nativement des collaborateurs ayant les compétences nécessaires, par exemple des spécialistes des technologies open source comme OpenStack. Nous devons donc à la fois recourir à des ressources externes, via des prestations de service, mais également recruter des collaborateurs afin d’internaliser cette compétence, ce qui n’est pas toujours facile car ces profils se retrouvent majoritairement dans les entreprises telles que les GAFA, et sont donc difficiles à attirer. Depuis 2 ans, nous avons mis en place un dispositif spécifique à destination de ces profils afin de les préparer à faire face à ces nouveaux défis.

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7. Enfin, la cybersécurité, qui est au cœur de nos préoccupations.

« Le monde évolue à vitesse grand V : les infrastructures comme les nôtres sont des cibles privilégiées »

Nous avons besoin d’une part de profils techniques qui aient les compétences d’un CERT (Computer Emergency Response Team), c’est-à-dire capable d’interpréter les incidents de sécurité et d’y répondre, d’autre part de managers cybersécurité capables de construire un plan de traitement des risques pertinent, de dialoguer avec les administrations, et de répondre aux questions réglementaires (NICE, RGPD).

Face à ces évolutions, quels sont vos enjeux RH et les chantiers en cours et à venir pour y répondre ?

Notre principal enjeu est de garantir l’attractivité de la DSI, qui ne se limite pas à la dimension salariale. La contribution à une mission de service public, le sentiment de faire quelque chose qui a du sens, comme accompagner la transition énergétique ou participer à une aventure industrielle telle que Linky, sont de réels atouts sur lesquels capitaliser. Avec des collaborateurs passionnés par leur métier, nous avons de fait un enjeu de régulation de la charge de travail ; il nous faut donc des managers de haut niveau, capable d’accompagner les collaborateurs dans la prise de recul et l’identification des priorités sur lesquelles focaliser leur énergie.

« Avec le passage à l’agile, le manager perd son rôle de prescription et doit endosser un rôle de régulation »

La féminisation de la DSI est également un vrai sujet, à la fois dans les équipes et dans les fonctions managériales, jusqu’au plus haut niveau. Aujourd’hui, une seule femme est au CODIR de la DSI d’ENEDIS. Or le recrutement se tarit, notamment en raison d’une baisse de la part de femmes dans les formations IT. Nous avons mis en place plusieurs actions pour répondre à cet enjeu.

« Nous participons, avec le CIGREF, à l’initiative Femmes@numérique, qui mène des actions pour attirer les femmes vers les métiers du numérique ».

Nous veillons également à intégrer des femmes dans les listes de succession des managers, afin d’accompagner leur progression professionnelle sur des postes de management. Enfin, le dispositif « Emplois de demain » est un très bon vecteur de féminisation de la DSI, le vivier de collaborateurs de ce dispositif étant moins déséquilibré que notre vivier interne, ce qui nous permet de renforcer la parité dans la sélection des collaborateurs intégrant le dispositif.

Enfin, nous devons investir dans la formation.

« Nous devons allouer un budget formation à la hauteur de nos enjeux »

Compte tenu de l’évolution des métiers IT, nous avons des enjeux plus forts que d’autres directions de l’entreprise en matière de formation. Ces enjeux sont d’autant plus importants que certains métiers SI, tels que ceux de Product Owner, développeur, ou gestionnaire applicatif DevOps, sont des métiers d’accueil pour accompagner la reconversion des collaborateurs de l’entreprise. Or le dispositif « Emplois de demain » mobilise une part importante de notre budget formation.