Aller au contenu principal

Interview : Arnaud Farjat

Directeur des Systèmes d'Information chez Veolia Eau d'Ile-de-France

Filiale de VEOLIA Eau France, VEDIF est une entité juridique entièrement dédiée au contrat de délégation de service public passé avec le Syndicat des Eaux d’Ile de France (SEDIF), ayant pris effet le 1er janvier 2011 pour 12 ans.

En tant que délégataire du SEDIF, VEDIF doit répondre à de nombreuses missions contractuelles : assurer la production et la distribution d’eau, gérer la relation avec les abonnés, assurer la maintenance de l’ensemble des installations, renouveler les ouvrages, assurer la transparence et la gouvernance du service, respecter le programme d’investissement défini par le contrat de délégation. La DSI compte environ 150 personnes dont 30 internes. Depuis 2011, ce sont plus de 1 000 personnes qui sont intervenues à la DSI.

Quels sont les grands facteurs d’évolution auxquels est confrontée votre DSI ?

On constate au sein des DSI encore une certaine inertie, d’autant plus lorsqu’on regarde ce que sont capables de faire les GAFA auxquels nous sommes maintenant implicitement comparés, malgré des moyens qui sont sans commune mesure. Certes, les DSI sont plus rapides qu’il y a vingt ans, mais c’est insuffisant. On n’attend plus seulement de la DSI qu’elle assure une certaine continuité et ne prenne pas de risque.

« La DSI doit être une locomotive pour la transformation du business de l’entreprise. »

Plusieurs facteurs impactent la DSI de VEDIF ; parmi eux deux sont essentiels : l’agilité et le besoin de sens exprimé par les collaborateurs.

En 2015, la DSI s’est réorganisée pour placer l’agilité au cœur de son fonctionnement et se positionner en miroir du métier, alors que nous étions auparavant organisés en pôles technologiques. Nous avons mis en place un mode de fonctionnement s’inspirant du modèle Spotify avec la création de « tribus » et de “squads” créées temporairement et spécifiquement pour des projets ou missions ; les résultats sont tangibles avec une amélioration du delivery et un apport de valeur. Ces équipes qui réunissent le métier et l’IT pour travailler ensemble et non pas l’un en face de l’autre sont physiquement réunies dans les mêmes locaux. En conséquence, elles sont plus efficaces, l’intelligence collective est améliorée car les intermédiaires sont réduits et la valeur d’usage du client est placée au cœur des échanges.

« L’agilité, au-delà de méthodes, c’est surtout un état d’esprit qui est devenu incontournable dans les DSI. C’est une véritable exigence de la part de nos clients, qu’ils soient internes ou externes, et de l’ensemble des collaborateurs. D’où l’enjeu de passer à l’échelle. »

Pour mener à bien notre mission, les ressources doivent elles aussi être agiles. Je pense qu’on tend de plus en plus vers des collaborateurs devenus “pigistes”, ponctuellement mobilisés sur une mission sans y être dédiés à 100% et intervenant simultanément sur plusieurs missions. Par exemple, on pourra solliciter 30% du temps d’un architecte parce que cela a un intérêt non seulement pour le projet mais aussi pour le collaborateur, et y adjoindre des collaborateurs internes à temps partiel sur une autre mission, mais aussi des freelances.

Je vois d’ailleurs l’innovation comme une résultante naturelle de l’agilité.

Par ailleurs, si l’on va encore plus loin, on peut dire que l’immobilier va également entrer dans l’agile en tant que paramètre incontournable. D’ici dix ou quinze ans, nous n’aurons peut-être plus de bureaux, les open space se feront plus rares, et ce, au profit d’espaces de co-working. Cela a également un réel intérêt économique pour les entreprises, l’immobilier étant d’ailleurs le second poste de coûts après la masse salariale !

En ce qui concerne le besoin de donner du sens, il s’agit d’une tendance de fond qui ne s’observait pas dix ans auparavant. Il y a une réelle volonté des collaborateurs à comprendre le « pourquoi » et l’utilité de leur travail. Nous travaillons avec beaucoup de prestataires, environ une ressource interne pour quatre ressources externes, pour lesquels cette quête de sens est tout aussi importante. Il est donc crucial d’alimenter l’attractivité de la DSI, et au-delà. La mission de notre entreprise en elle-même attire déjà les potentielles recrues en étant en ligne avec les enjeux contemporains : « we are resourcers », comme l’indique le nouveau slogan du Groupe Veolia. Cette quête de sens, peut-être initié par des générations plus jeunes, concerne désormais toutes les générations. En conséquence, j’attends de mes managers qu’ils aient un état d’esprit porteur du sens pour notre mission et qu’ils fédèrent des équipes modulaires et apprenantes autour d’elle. 

D’autres facteurs plus technologiques sont également marquants pour les entreprises et la DSI.

La RPA va toucher très rapidement les métiers de bureau, davantage les "cols blancs" plutôt que les "cols bleus", et en particulier les métiers du back office. Il faut se poser la question suivante : aura-t-on besoin à horizon 2025 d’une équipe back office ou faut-il considérer qu’on aura automatisé l’intégralité de l'activité de cette équipe ? En tout état de cause, on ne pourra plus faire sans la RPA et c’est véritablement l’IT qui va transformer certains métiers de l’entreprise.

De même, la 5G va faire évoluer notre activité en apportant une expérience de connexion sans interruption, sans coutures, et beaucoup plus fluide que jusqu’à présent. Cela va modifier les processus métier : alors qu’aujourd’hui nous envoyons plusieurs collaborateurs en opération sur le terrain, demain, l’intervention d’une personne sera possible avec l’accompagnement à distance d’un expert qui pourra appuyer plusieurs personnes simultanément, y compris dans des endroits auparavant dépourvus de connectivité (caves, sous-sols, etc.).

La Data fait également partie du top 3 des enjeux des DSI. De nouveaux métiers ont été créés et, parallèlement à la montée en puissance côté métier, la tendance est à la recherche de techniciens et de spécialistes plutôt que de fonctionnels. Ces collaborateurs doivent avoir un esprit assez ouvert et une forte maîtrise de ce sujet technologique qui évolue rapidement.

« En résumé, la DSI a aujourd’hui trois rôles majeurs : tout d’abord, assurer la maîtrise du socle et des activités de Run, développer une relation partenariale de proximité avec le métier, résolument orientée business, et enfin ne pas se contenter d’une posture réactive mais réellement se positionner en locomotive de la transformation. La transformation en 2020 est initiée par la technologie, qui n’est plus seulement un « enabler » : c’est l’IT qui tracte aujourd’hui les principales évolutions sociétales. »

Quelles sont les évolutions de vos métiers et des compétences associées ?

Je recherche en priorité deux types de profils.

Nous avons besoin de managers multi-compétents à la posture de coach, de leader, qui ont la capacité de mettre en place des dispositifs agiles et de donner du sens aux équipes qu’ils encadrent. 

Nous recherchons aussi des spécialistes sur des technologies, des pionniers, du type architecte data et architecte cloud qui pourront répondre aux besoins de l’entreprise.

Par ailleurs, les métiers de la cybersécurité sont en tension. La menace est réelle et va encore se développer, notamment avec l’intelligence artificielle qui peut faire de terribles dégâts lorsque nous parlons de la gestion d’infrastructures dites vitales. Aussi, je considère les collaborateurs qui travaillent sur ces sujets comme de précieuses ressources. 

Selon moi, les métiers de développeur et de « paramétreur » sont en revanche en déclin en raison de la généralisation de l’automatisation et d’une tendance à l’achat de modules sur étagère. Les intégrateurs, architectes et urbanistes auront alors tout leur rôle à jouer au sein d’une DSI devenue assembleuse de compétences. 

Je m’interroge également sur la pérennité du métier de recetteur, puisque la RPA risque d’automatiser une bonne partie de ses tâches et qu’on observe maintenant une tendance à la réalisation de tests en situation réelle auprès des utilisateurs finaux (Testing A/B, Blue-Green, etc.). La recette doit aujourd’hui être agile et se faire en continu en se confrontant directement aux usages. 

Au final, je pense que l’agilité est plutôt un état d’esprit qu’une technique, une compétence, que l’on peut acquérir. Je n’ai pas besoin d’une équipe de coachs agiles qui détiendrait le savoir, je pense que l’agilité s’apprend en la pratiquant et elle doit se répandre, s’infuser dans toute la DSI et au-delà.

« L’enjeu n’est pas sur le « faire » mais sur le « comment faire » : la DSI est en demande de pionniers intégrateurs car le temps des méthodes applicables à toute situation est révolu. »

Face à ces évolutions, quels sont vos enjeux RH et les chantiers en cours et à venir pour y répondre ?

Nous avons un fort enjeu sur le recrutement à la DSI de VEDIF, et j’ai la chance de pouvoir attirer les ressources, notamment face à la concurrence des cabinets de conseil, tout en restant homogène par rapport à la politique salariale de l’entreprise. J’ai la conviction que les collaborateurs de la DSI d’aujourd’hui ne se projettent pas sur l’ensemble de leur carrière au sein d’un même Groupe, et donc que nous pouvons faire un effort salarial compte tenu du turnover qui s’accélère inéluctablement. 

La formation et plus globalement le développement des compétences sont aussi des enjeux importants.

« Je crois beaucoup en la notion de “faire”, à la mise en situation et au « micro-learning » qui permettent d’apprendre plus vite qu’une formation trop théorique ou top-down. Je m’appuie pour cela sur la mise en pratique pour apprendre. »

Pour moi, la formation, ce n’est pas un catalogue dans lequel le chef de service doit aller piocher, le tout dans un esprit paternaliste et dirigiste. J’invite plutôt les collaborateurs à fabriquer leur propre futur car c’est au fond la meilleure façon de l’anticiper : j’ai à disposition un budget formation, à eux de l’utiliser pour trouver de nouvelles perspectives et alimenter à leur tour l’émulation collective au sein de l’organisation. J’ai ainsi reçu des demandes inédites, avec par exemple l’apprentissage du management au contact de chevaux. Nous avons également mis en place un dispositif simple de social learning, la «cérémonie de l’ampoule EUREKA» : tous les mois, quelques collaborateurs viennent pitcher en trois minutes une réussite ou une pratique innovante auprès de leurs autres collègues. 

En termes de marque employeur, nous jouissons d’un avantage lié à notre mission auprès des abonnés et collectivités, et donc notre attractivité est naturellement reconnue. 

Nous mettons en œuvre beaucoup de moyens pour que les conditions de travail soient agréables à nos collaborateurs et propices à la performance collective : autonomie et responsabilisation, évolution des emplois et compétences, bienveillance sans complaisance, dispositif de télétravail, etc. On en ressort avec la fierté partagée d’avoir enclenché un fort dynamisme au sein des équipes. 

« J’ai aussi la conviction que la fidélisation des collaborateurs repose sur trois piliers : la rémunération, la mission, et l’environnement de travail. Tant qu’un collaborateur est satisfait d’au moins deux piliers, il reste, sinon, il s’en va. »

« Nous avons la chance de travailler dans un écosystème en perpétuelle évolution, soyons conscient et enthousiasme de cette opportunité et profitons-en au maximum ! »