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L’effacement : un secteur en fort développement convoité par les énergéticiens

Bien que les offres précurseurs « Effacement Jours de Pointe » (EJP) et TEMPO d’EDF existent depuis les années 80, on peut considérer le secteur de l’effacement comme relativement récent.

C’est en effet à partir de 2008, avec le lancement du premier appel d’offres RTE ouvert à la demande, que le secteur a réellement commencé à se développer et se diversifier pour voir apparaître de nouveaux acteurs tels que les agrégateurs de flexibilité. Cette première expérimentation visait à constituer une partie de la réserve tertiaire et permettait de réserver des capacités d’effacement activables en cas de tension durant la période hivernale. Il ciblait uniquement les consommateurs industriels.

Les premiers acteurs à se positionner sur les appels d’offres effacement RTE pour la constitution des réserves étaient donc les industriels, en direct, sans passer par des acteurs tiers tels que les agrégateurs. Ils ont été très rapidement suivis par les agrégateurs de flexibilité qui, en mutualisant les flexibilités des industriels, ont pu répondre avec des volumes plus importants et ainsi dominer le marché.

Jusqu’en 2014, le positionnement des acteurs sur le marché est resté relativement stable avec la prépondérance de quelques agrégateurs tels que Energy Pool, Smart Grid Energy, Actility et Novawatt pour l’effacement industriel et Voltalis seul agrégateur positionné sur le segment de l’effacement diffus[i]. Cette stabilité s’explique par la taille du marché, jusqu’alors relativement limitée. En effet, seule la réserve tertiaire, appelée aussi Mécanisme d’Ajustement (MA), est ouverte à la demande et totalise, au mieux, 1,2 GW de capacité avec des mécanismes tels que l’appel d’offres consommateurs industriels, les réserves rapides et complémentaires et les offres libres sur le MA. Durant cette période les fournisseurs d’électricités restent relativement discrets sur le secteur bien que certains apparaissent régulièrement parmi les acteurs retenus par RTE.

Des décisions politiques et un contexte marché favorables au développement du secteur de l’effacement

Ces deux dernières années ont vu apparaître une accélération dans le développement et l’attractivité du secteur. En effet, l’effacement est encouragé par des décisions politiques tant au niveau national avec l’ouverture progressive à la demande de l’ensemble des mécanismes de réserve (réserve primaire, secondaire et tertiaire), qu’au niveau Européen avec la mise en place d’objectifs d’amélioration de l’efficacité énergétique de 20% d’ici 2020 (objectifs UE 20-20-20). De plus, une évolution importante a été le traitement égalitaire (en termes de valeur pour le réseau et de rémunération) entre les capacités d’effacement et de production sur l’ensemble des mécanismes de réserve mais aussi sur le mécanisme de capacité où 1 MW de garantie issu d’une capacité de production a la même valeur que s’il est issu d’une capacité d’effacement. L’attractivité du secteur est également liée à l’augmentation récente des phénomènes de pics de prix, notamment hivernaux, qui permet de rendre le mécanisme de Notification d’Echange de Blocs Effacement (NEBEF - équivalent des NEB pour la production), jusque-là délaissé par les acteurs, très intéressant financièrement sur ces périodes de pointes. Ces différents éléments permettent ainsi d’augmenter la profondeur du marché de l’effacement jusque-là contraint aux mécanismes de réserve ouverts à l’effacement.

On note également un intérêt croissant de la part des consommateurs finaux. En effet, la fin annoncée des EJP, des tarifs historiques et la création du mécanisme de capacité pousse les industriels, le secteur tertiaire et peu à peu les particuliers à identifier leur flexibilité potentielle pour limiter le surcoût capacitaire.

Une dynamique qui favorise le repositionnement des acteurs clés du secteur de l’énergie.

Ces évolutions de marché sont en train de faire émerger de nouveaux acteurs tels que des Sociétés de services énergétiques (ESCO : Energy Service Company) qui souhaitent se spécialiser dans l’optimisation des consommations, mais aussi des nouvelles sociétés d’agrégation nationales et européennes.

Néanmoins, le phénomène le plus notable engendré par cette augmentation d’attractivité du secteur de l’effacement est le positionnement de plus en plus fort des énergéticiens historiques. Relativement discrets sur le marché jusqu’à présent, on observe aujourd’hui d’importantes décisions stratégiques de la part de ces énergéticiens visant à prendre une place prédominante sur le secteur.

Tout d’abord, par rapport à l’effacement diffus assez peu exploité jusque-là par les acteurs du secteur, on observe une multiplication des « Smart Energy Box », comme la Butabox proposé par Butagaz, l’Energie Box d’Edelia (filiale EDF) ou encore Zenbox par Engie. Bien que l’objectif premier de ces « boxes » soit le confort individuel, en mesurant les données de consommation et permettant le pilotage à distance des différents postes électriques, elles pourraient être un atout majeur pour le développement de l’effacement diffus. C’est déjà le cas avec Direct Energie qui avec Modelec, a équipé plus de 500 foyers français volontaires d’une « box » et d’un module de consommation installé sur le tableau électrique qui permet de réduire les pointes de consommation et de participer à l’équilibrage du réseau en temps réel.

D’autre part, un mouvement Européen d’acquisition de la part des énergéticiens envers les acteurs majeurs du secteur de l’effacement, et plus particulièrement les agrégateurs, est en cours. Parmi les rachats et investissements successifs, on peut notamment citer Engie qui a investi fin juillet 2015 dans l’agrégateur britannique Kiwi Power qui gère plus de 330 MW de capacités flexibles pour un chiffre d’affaire (CA) de 2,8 M£. Fin mars 2016, Vinci Energie a racheté à 100% l’agrégateur français Smart Grid Energy lui permettant d’avoir accès à un portefeuille de près de 1 GW de capacités pour un CA de 23 M€. L’américain Enernoc, un des plus gros acteurs mondiaux du marché avec un CA de plus de 400 M$ et la gestion de plus de 9 GW de capacités (et 27 GW de puissance de pointe), a lui été racheté par Enel fin juillet 2017 et très récemment, REstore, agrégateur belge avec un portefeuille s’élevant à 1,7 GW de puissance de pointe, vient d’annoncer son rachat par le britannique Centrica.  Cette tendance se poursuit comme l’illustre l’acquisition de Hydronext, agrégateur français gérant plus de 168 MW d’énergies renouvelables, par le fournisseur d’électricité suisse BKW au début de ce mois de novembre 2017.

 

On sent donc un fort intérêt des énergéticiens pour le développement des solutions d’effacement. Ils confirment par leur nouveau positionnement l’attractivité croissante du secteur en France mais également à travers l’Europe. Il va être très intéressant de suivre la manière dont va s’opérer cette évolution au sein des entreprises dominant désormais le secteur et comment les offres d’effacement vont être intégrées par les énergéticiens au sein de leurs propres offres existantes.

[i] Effacement diffus : Consiste à « effacer » (arrêter ou réduire la consommation) certaines capacités, principalement les chauffe-eaux et chauffage, chez les particuliers qui y consentent.