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Un acte III de la décentralisation : pour quoi faire ?

Alors que la décentralisation est une organisation politique récente en France, le gouvernement parle déjà d'un acte III. Pourquoi ? Les précédents textes n'ont-ils pas eu les conséquences espérées ? Qu'est-ce que ce nouvel acte peut apporter ?

A ce jour, la décentralisation française s’est jouée en 2 actes :

  • 1982 : les lois Deferre ont permis de faire évoluer le contrôle étatique sur les décisions des collectivités (de la tutelle préfectorale a priori exercée en amont des décisions, au contrôle de légalité s’exerçant a posteriori), d’attribuer à la région le statut de collectivité territoriale à part entière et de créer la fonction publique territoriale.
  • 2003 : la révision constitutionnelle portant sur l’organisation décentralisée de la République alloue aux collectivités le droit d’expérimentation, la possibilité d’organiser des référendums locaux et l’autonomie financière. Elle leur transfère également de nouvelles compétences et les personnels correspondants et développe l’intercommunalité.

A l’heure où le gouvernement envisage l’acte III de la décentralisation, comme un volet à part entière de la réforme de l’Etat et comme la «redéfinition de la puissance publique du XXIème siècle» [1], qu’en est-il réellement de l’organisation de la France décentralisée et quel rapport entretient l’administration territoriale avec ce qu’il est commun d’appeler « le pouvoir central » ? Quels sont les objectifs de ce projet ? Répond-il aux besoins et aux enjeux de l’action publique ?

I. La décentralisation actuelle montre ses limites

Une idée novatrice

La décentralisation a constitué une véritable rupture dans l’organisation de l’action publique en France, permettant une plus grande proximité entre les décideurs publics et les citoyens. Si l’ambition était novatrice, la mise en application n’a pas résisté à certains conservatismes qui se sont traduits par la confusion entre les échelons territoriaux, le manque d’autonomie des territoires et la mainmise de l’administration centrale.

Une mise en œuvre insatisfaisante

Aux dires de ses acteurs, la décentralisation est marquée par « l’instabilité et le manque de confiance »[2] entre Etat et collectivités locales. La relation de tutelle supprimée en théorie, par la loi de 1982, existe toujours en pratique. L’autonomie des collectivités reste limitée tant en termes décisionnels qu’en matière financière.
Par ailleurs, les réformes et transferts de compétences successifs ont abouti à une organisation territoriale peu lisible et dotée d’un fonctionnement complexe, pour les citoyens et même pour les agents de l’administration. Financements croisés, doublons de compétences, circuits de validation labyrinthiques en découlent et apportent des réponses insatisfaisantes au regard de la qualité de l’action publique attendue.

II. L’ambitieux projet du Gouvernement : une réelle autonomie des territoires

L’ambition du gouvernement semble être de rétablir une véritable relation de confiance et une meilleure gouvernance entre l’Etat et les exécutifs locaux, via 4 axes majeurs évoqués par le Président de la République, le 5 octobre 2012, à l’occasion des Etat généraux de la démocratie territoriale :

La rationalisation du périmètre d’activité de chacun des échelons territoriaux

  • Transferts et clarifications des compétences
    Avec ce nouvel acte de décentralisation, l’Etat souhaite aller au bout des transferts de compétences déjà initiés lors des précédentes réformes, afin que chaque collectivité gère de manière autonome un «bloc de compétences » à part entière. Cette mesure a pour objectif de mettre fin à l’éparpillement des compétences entre collectivités, générateur de confusion et de perte de temps.
  • Un échelon « chef de file » dans chaque domaine
    Chaque échelon territorial sera donc « chef de file » dans son domaine. Cela signifie que si un autre échelon souhaite intervenir dans ce domaine, selon le principe de « clause de compétence générale des collectivités territoriales », elle devra obtenir la validation de l’échelon désigné comme chef de file.
  • Le rôle prépondérant des régions
    Ce sont les Régions qui devraient bénéficier en premier lieu de ces transferts, en se voyant attribuer l’ensemble des compétences qui sont encore celles de l’Etat en matière de formation professionnelle, d’orientation et de mise en cohérence des politiques de l’emploi au niveau territorial, ainsi que le pilotage de l’ensemble des politiques publiques d’emploi et de formation, et enfin, la gestion des dispositifs d’aide et de soutien aux PME.

 

L’allocation de moyens financiers adaptés aux missions exercées

Ces mesures seraient accompagnées d’un volet fixant un nouveau cadre financier, essentiel à une véritable évolution de l’esprit de la décentralisation. Ce nouveau cadre impliquerait la mise en place de compensations financières pérennes, correspondant aux transferts de compétences dont chaque échelon a bénéficié. Pour cela, la fiscalité devrait s’adapter aux réalités locales, en fonction des modalités d’exercice des compétences.

 

La responsabilisation des collectivités dans leur gestion

Pour officialiser ces mesures, les collectivités signeraient un « Pacte de confiance et de responsabilité pour les cinq prochaines années entre l’Etat et les collectivités territoriales » les engageant à gérer les compétences dont elles ont la charge en contrepartie de moyens adéquats, sans compromettre l’objectif de l’Etat de retour à l’équilibre budgétaire en 2017.

 

Une philosophie nouvelle de concertation

La création d’un Haut Conseil des territoires, composé de toutes les structures représentants les collectivités locales, aurait pour vocation de marquer le passage d’une relation de tutelle à une relation de concertation entre l’Etat et ses territoires. Ce Haut Conseil serait saisi sur chaque texte intéressant les collectivités locales, et avant chaque loi de finances. Le projet de loi prévoit également la création de Conférences territoriales de l’action publique dans chaque région, associant l’Etat et les représentants des collectivités, qui auront pour rôle de définir la répartition des compétences entre collectivités, pour une véritable décentralisation à la carte.

III. Une réforme à la hauteur des enjeux ?

Une réforme dont l’esprit répond aux attentes

Dans sa philosophie, le projet de loi qu’a esquissé le Président de la République répond aux attentes de chacune des parties prenantes :

  • Collectivités
    C’est une garantie pour les collectivités de gagner en autonomie sur les sujets qui sont les leurs, de maîtriser leur action et de ne pas être de simples exécutants.
  • Citoyens
    Pour les citoyens, c’est une réponse au besoin de lisibilité de l’action publique locale.
  • Etat
    Enfin, les exigences de répartition des compétences et de respect du cadre budgétaire constituent une réponse au besoin de rationalisation de l’action publique et de maîtrise des dépenses de l’Etat. En effet, diminuer le temps de travail alloué à chaque décision, supprimer les doublons, accélérer la suppression de circuits de décision à rallonge permettra de diminuer le temps de traitement des dossiers et devrait aboutir à une réduction des dépenses.

 

Une réforme déjà menacée par les difficultés liées à sa mise en application

Ce sera dans sa mise en application quotidienne que l’on pourra réellement évaluer la portée de ce nouvel acte de décentralisation. Le pouvoir central parviendra-t-il à partager son pouvoir et à laisser de véritables marges de manœuvre aux collectivités sur des sujets qu’il avait l’habitude de maîtriser ? Les collectivités seront-elle capables de gérer leur autonomie, notamment financière, en ajustant leurs dépenses aux recettes qu’elles percevront ?

Le chemin à parcourir est complexe. Actuellement, la bataille fait rage pour déterminer la place que chaque échelon territorial occupera au sein du Haut Conseil des Territoires. Chacun souhaitant avoir la meilleure représentation possible au sein de la nouvelle instance, dont dépendront le Comité des finances locales et la Commission consultative d’évaluation des normes, aux pouvoirs renforcés. De même la Présidence des Conférences territoriales fait débat : Présidence de la Région ? Présidence tournante entre Région, Département, Intercommunalité? Le Gouvernement semble éprouver de la difficulté à trancher.

Le projet de loi devrait être présenté en Conseil des ministres en mars pour un vote au Parlement avant l’été. Objectif : que la loi soit totalement opérationnelle le 1er janvier 2014. Nous émettions il y a quelques mois sur ce blog l’idée selon laquelle l’Etat, pour faire « mieux », devait faire « moins », c’est à dire se recentrer sur les domaines prioritaires de l’action de l’Etat. Ce nouvel acte de décentralisation, s’il remplit les objectifs qui lui sont fixés par le Président, en est assurément un moyen. Mais, au vu des obstacles rencontrés par le Gouvernement avant même le vote du texte au Parlement, ces objectifs semblent difficilement atteignables.

 


[1] Entretien avec Marylise LEBRANCHU, Ministre de la Réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique – courrier des maires.fr – 9/10/12
[2] Acte III de la décentralisation : quel avenir pour les finances locales ? – Table ronde entre Jean ARTHUIS, membre de la commission des finances du Sénat et Président du conseil général de la Mayenne, Philippe LAURENT, président de la commission finances et fiscalité locales de l’Association des maire de France, maire de Sceaux, André LAIGNEL, président du Comité des finances locales, maire d’Issoudun, Alain GUENGANT, directeur de recherche au CNRS- courrier des maires.fr –11/09/12