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Stockage d’électricité par STEP : des solutions pour accompagner les prochaines étapes de la transition énergétique ?

Le développement des capacités de stockage d’électricité est une condition nécessaire à la concrétisation de la transition énergétique.

La transition énergétique sera à l’origine d’un besoin croissant de flexibilité des réseaux électriques. Le scénario 2°C de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) envisage ainsi sur le long terme un quintuplement de la part des énergies intermittentes dans le mix électrique européen passant de 8% en 2010 à 44% en 2050. Le développement des capacités de stockage d’électricité est une condition nécessaire à la concrétisation de cette vision.

En annonçant en mars 2018 un nouveau plan d’investissement de 8 milliards d’euros dans des solutions de stockage, EDF a illustré l’intérêt croissant porté par les acteurs de l’énergie pour ces technologies. Sans en dévoiler aujourd’hui la localisation, l’entreprise prévoit notamment l’installation de 10 GW de nouvelles capacités de stockage, dont 6 GW via des solutions à grande échelle telles que batteries ou des Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP).

Les STEP représentent aujourd’hui les outils les plus matures pour une gestion prévisible et à une échelle régionale de l’énergie stockée lors des périodes de surplus de production.

En France, la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) fixe pour objectif une augmentation des capacités de production des STEP de 1 à 2 GW d’ici 2030, soit une hausse de 24 à 48% par rapport aux 4,2 GW de puissance actuellement en opération.

Néanmoins, le contexte réglementaire ainsi que les conditions actuelles du marché ne constituent pas des incitations suffisantes pour encourager l’émergence de nouveaux projets à un rythme cohérent avec cette trajectoire.

Les STEP pourraient jouer un rôle clé dans la transition énergétique

Les STEP représentent 97% des capacités de stockage d’électricité connectées dans le monde[i]. Parmi les différentes techniques de stockage d’électricité, elles apparaissent en effet comme les solutions les plus matures et les seules à même d’assurer une gestion de l’énergie de manière prévisible à un niveau régional.

La modernisation des STEP renforcerait davantage encore leur place dans la transition énergétique. Si une STEP conventionnelle n’a pas la possibilité de réguler sa puissance de pompage ou de descendre en-dessous de 50% de sa puissance maximale en mode turbinage, les STEP opérant à vitesse variable peuvent limiter leur puissance de pompage et de turbinage jusqu’à 70%. Elles seraient alors plus à même de moduler leur puissance d’injection ou de consommation en fonction du niveau de production des énergies renouvelables[ii]. Les équipements permettant de convertir les STEP traditionnelles en centrales dont l’exploitation peut s’effectuer en vitesse variable ont aujourd’hui atteint une maturité commerciale et tendent de plus en plus à se généraliser lors de la construction de nouvelles unités. Citons à titre d’exemple la STEP de Linthal mise en service en 2016 en Suisse et équipée de quatre générateurs à vitesse variable d’une puissance de 250 MW chacun, fournis par General Electric.

Le rôle des STEP dans l’équilibrage des réseaux permettra au final la réalisation de gains pour l’ensemble du système électrique européen. A horizon 2030, le consortium portant le projet européen eStorage évalue ainsi entre 2,2 et 4,2 milliards d’euros les économies de CAPEX et d’OPEX que les STEP pourraient permettre chaque année, grâce à des coûts de production d’électricité plus faibles et des besoins moindres d’investissements pour renforcer les lignes transfrontalières ou construire de nouvelles capacités de production[iii].

Dans un contexte de déploiement d’énergies intermittentes décentralisées, le développement des STEP doit cependant s’envisager en complémentarité avec d’autres solutions d’équilibrage des réseaux. A un niveau local en effet, la régulation de la qualité de l’onde de tension nécessite de développer des solutions de stockage de plus petites échelles pour des applications tournées vers les réseaux de distribution, telles que par exemple des batteries ou des volants d’inertie.

Il existe cependant des barrières importantes au développement des STEP

Force est de constater que le contexte actuel de marché n’encourage pas le développement des STEP en Europe de l’ouest. Faute d’écarts suffisants des prix de l’électricité entre les heures pleines et les heures creuses, certains exploitants européens de stations de stockage peinent à rentabiliser leur activité. Un prix du gaz faible et une croissance de la production de l’énergie solaire ont, en grande partie, expliqué les difficultés rencontrées ces dernières années. Ainsi, l’Union Française de l’Electricité estimait en 2013 le taux de rentabilité interne des STEP françaises à 2,7%, loin des 8% qui seraient nécessaires pour « maintenir l’investissement des industriels dans des projets » selon l’association professionnelle[iv].

Devant la dégradation des conditions du marché et la réduction des écarts des prix de l’électricité entre les périodes de forte et de faible demande, EDF a ainsi décidé après trois ans d’études de renoncer à la conversion de la STEP du Cheylas (Isère) en une station à vitesse de pompage variable. Cet investissement, estimé rentable en 2011, aurait permis d’augmenter la puissance de la station de 240 à 310 MW.

L’annonce de Vattenfall en juin 2017 de réduire de 2,8 à 2,5 GW les capacités de production opérationnelles de ses huit STEP en Allemagne représente une autre illustration récente du faible optimisme des entreprises européennes quant au potentiel à court terme de ces installations sur l’ouest du continent.

L’environnement législatif se montre insuffisamment protecteur pour compenser les conditions de marché difficiles auxquelles doivent faire face les exploitants des STEP. Les contextes réglementaires nationaux peuvent en effet se révéler inadaptés à la pleine reconnaissance des particularités de ces installations. En témoigne la diversité des régimes fiscaux et des charges applicables aux opérations de soutirage ou d’injection d’électricité réalisées par les STEP sur le réseau. De manière générale, l’absence d’une tarification locale de l’énergie a, par ailleurs, pour conséquence une sous-rémunération des STEP par rapport à leur rôle dans la prévention des phénomènes de congestion sur les réseaux de transport[v].

A terme, le développement de nouvelles STEP pourrait également être limité par les contraintes de la réglementation en matière de protection de l’environnement et les oppositions locales à des projets susceptibles de créer une concurrence entre différents usages de l’eau ou d’affecter les écosystèmes situés aux alentours des retenues. Enfin, l’éloignement des réseaux de transport des sites potentiels de développement de nouvelles STEP représenterait également un frein notable, au regard des coûts de raccordement engendrés.

Un soutien public accru jouerait un rôle clé dans le développement des STEP en France

D’après les estimations du projet européen eStorage, le potentiel de développement des STEP sur des bassins existants en France représente des capacités de stockage d’énergie équivalentes à 117 GWh, soit presque la moitié de la capacité de stockage actuelle de l’ensemble des STEP européennes.

Ce potentiel ne sera cependant pas pleinement exploité en l’absence d’un soutien plus affirmé des pouvoirs publics. Les scénarios Volt et Ampère du bilan prévisionnel 2017 de RTE, retenus par le gouvernement dans le cadre des ateliers de révision de la PPE[vi], anticipent en effet un maintien des capacités des STEP à 4,2 GW d’ici 2035. Malgré une augmentation des besoins en flexibilité, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité estime en effet « problématique » la rentabilité des investissements dans les différents outils de stockage d’électricité, en raison de différentiels insuffisants sur les chroniques de prix simulés[vii].

La PPE publiée en 2016 porte cependant des objectifs volontaristes en faveur du développement des STEP. Elle cible pour 2023 l’engagement de projets permettant d’augmenter les capacités de production de 1 à 2 GW à horizon 2030. Les pouvoirs publics devront donc actionner un ou plusieurs des leviers à leur disposition pour encourager des initiatives privées : lancement d’appels d’offres, actions de R&D ou aménagement des tarifs d’utilisation des réseaux.

La Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) renforce la capacité d’action des pouvoirs publics dans ces domaines. Elle ouvre notamment la possibilité de fixer par décret un pourcentage de réduction du tarif d’utilisation du réseau public de transport pour les « sites fortement consommateurs d’électricité qui présentent un profil de consommation prévisible et stable ou anticyclique » (article 157). Ce levier serait particulièrement intéressant, compte tenu du fait que le coût de l’énergie consommée pour pomper l’eau des retenues inférieures représente près de 60% des charges des exploitants des STEP[viii].

La LTECV renforce également les moyens d’action du gouvernement en matière de soutien aux actions de R&D. Elle assouplit en effet le cadre juridique permettant la conduite d’expérimentations autour de dispositifs de gestion optimisée de stockage d’énergie associant les gestionnaires de réseau, les autorités organisatrices des réseaux publics et des collectivités publiques (article 200 autorisant à cet effet le gouvernement à prendre par voie d’ordonnances des mesures relevant du domaine de la loi).

 

De telles expérimentations permettraient d’affirmer le rôle que peuvent jouer les STEP dans des systèmes intégrant une part importante d’énergies intermittentes, seules ou en complémentarité avec d’autres outils de stockage d’électricité. Elles pourraient également favoriser la naissance d’initiatives en lien avec des applications innovantes. L’installation de micro-STEP construites dans des milieux urbains ou ruraux pour faciliter l’intégration des énergies renouvelables à une échelle locale compte parmi ces techniques dont le potentiel reste à expérimenter[ix].


Notes & Sources

[i] Electricity storage and renewables: cost and markets to 2030, IRENA, 2017

[ii] Nouveau défi : moderniser les STEP !, Techniques de l’ingénieur, 26/04/2016

[iii]Montant des économies liées entre autres au rythme de développement des énergies intermittentes et de la progression des STEP à vitesse variable : Potential, Economic and Environmental Value of Large-Scale Energy Storage in Europe, Consortium du projet eStorage, 2016

[iv] Etat des lieux et propositions d’évolution sur l’économie des stations de transfert d’énergie par pompage, UFE, 2013

[v] Obstacles for the Integration of Storage in Current EU Regulatory and Market Framework, Consortium du projet eStorage, 2016

[vi] « Le gouvernement écarte le scénario d’une sortie rapide du nucléaire », Reporterre, 17/01/2018

[vii] Bilan prévisionnel Edition 2017, RTE

[viii] Etat des lieux et propositions d’évolution sur l’économie des stations de transfert d’énergie par pompage, UFE, 2013

[ix] Voir à ce titre le projet de la micro-STEP de Berrien installée sur une carrière en fin d’exploitation (https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/microstep-de-berrien.pdf) ou encore les solutions portées dans le domaine des micro-STEP urbaines par la start-up Nature&PeopleFirst