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Quel rôle pour les véhicules à motorisation thermique dans les transports en 2050 ?

Depuis 30 ans, les rejets de CO2 et de polluants locaux ont diminué à l’échelle du véhicule avec l’amélioration des moteurs, le développement de systèmes de filtration plus efficaces et l’incorporation de biocarburants. Cependant les émissions du secteur augmentent toujours avec la hausse du trafic.

Le secteur du transport participe largement au réchauffement climatique et à la pollution de l’air en étant responsable de 30% des émissions de CO2, de 50% des émissions d’oxyde d’azote et 15% des particules fines en France. Depuis 30 ans, les rejets de CO2 et de polluants locaux ont diminué à l’échelle du véhicule grâce à l’amélioration des moteurs, au développement de systèmes de filtration plus efficaces et à l’incorporation de biocarburants. Cependant les émissions du secteur ne cessent d’augmenter, portées par l’augmentation du trafic routier. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050 visée par le Plan Climat, le transport routier devra profondément se transformer et décarboner l’énergie qu’il utilise.

Quels carburants et motorisations seront utilisés en 2050 ?

L’électricité va-t-elle éclipser l’ensemble des véhicules thermiques à cet horizon ?

La mobilité électrique est promise à un bel avenir, mais ne permettra sans doute pas de couvrir l’ensemble des besoins en 2050

Dès 2009, l’électrique s’imposait dans le débat public. L’Etat et les industriels fixaient un objectif ambitieux de 2 millions de véhicules électriques et hybrides rechargeables à l’horizon 2020. Si moins de 150 000 véhicules électriques roulent aujourd’hui dans l’Hexagone, les progrès réalisés et espérés sur l’autonomie et le coût des batteries Lithium-ion – technologie dominante à moyen-terme[i] – lui promettent un bel avenir. Le développement du véhicule électrique reste conditionné par le déploiement à grande échelle des infrastructures de recharge, aussi le secteur souhaite multiplier par 4 le nombre de bornes sur le territoire d’ici 2022 pour atteindre 100 000 points de recharge. Le prix des batteries Lithium-ion devrait continuer de chuter pour atteindre 100 €/kWh entre 2020 et 2030 contre 200-300 €/kWh aujourd’hui et 1 000 €/kWh il y a 5 ans. De plus, le véhicule électrique bénéficie sur le plan environnemental d’un mix électrique français décarboné à 90% contrairement à nombre de ses voisins européens dont la moyenne se situe à 50%.

Néanmoins, trois facteurs limitants modèrent le développement du véhicule électrique à batteries : l’autonomie, le temps de recharge, et la disponibilité des matériaux nécessaires à sa fabrication[ii]. Pour les usages intensifs (taxis, cars longue distance, etc.), l’utilisation de l’hydrogène comme solution de stockage semble être une alternative intéressante, en particulier si l’hydrogène est produit à partir d’électricité renouvelable. Alors que moins de 500 véhicules hydrogène circulent aujourd’hui en France, l’enjeu de la filière est de parvenir à créer un nouvel écosystème industriel ex nihilo[iii]. La technologie d’électrolyse[iv], permettant de produire l’hydrogène à partir d’électricité, reste encore coûteuse mais ses performances évoluent rapidement : coûts divisés par 4 depuis 2010, et potentiellement encore divisibles par 2 d’ici 2030, rendant le prix de l’hydrogène en station compétitif face au diesel à cet horizon.

Au-delà des performances et du coût des véhicules, certaines questions sociétales sur le véhicule électrique restent encore en suspens comme le souligne Carlos Tavares (PDG de PSA) : « Il n'y a pas d'études d'impact (empreinte carbone, recyclage, extraction des matières premières rares pour les batteries, etc.), ni d'études à 360 degrés de ce que signifie une mobilité 100% électrique. Les gouvernements et les responsables politiques de l'Union Européenne sont en train de prendre la responsabilité scientifique du choix de la technologie ». A long-terme, planifier la mutation du secteur des transports vers l’utilisation d’un seul type de motorisation dont les technologies ne sont pas encore stabilisées semble aventureux, d’autant que l’urgence climatique impose également des avancées concrètes sur tous les segments de véhicules dès maintenant.

En complément de la mobilité électrique, les motorisations thermiques joueront un rôle clé pour couvrir l’ensemble des usages de la route d’ici 2050

L’Etat défend le principe de « neutralité technologique ». Or, les moteurs thermiques, développés et optimisés depuis des décennies, sont parfaitement matures et ne sont pas nécessairement synonymes d’émissions de gaz à effet de serre. En effet, si le carbone émis à la combustion du carburant provient préalablement de l’atmosphère[v], il n’est pas considéré comme émetteur en comptabilisation ACV[vi], contrairement à un produit fossile extrait du sous-sol.

Ainsi, de nombreux biocarburants tels que le bioéthanol, biogazole, bioGNV voire bioGPL peuvent dès aujourd’hui fonctionner avec des motorisations thermiques traditionnelles ou légèrement adaptées. Ces carburants peuvent bénéficier du réseau d’avitaillement actuel et présentent des performances opérationnelles (avitaillement, autonomie) proches des carburants pétroliers, et ce à des coûts raisonnables. De ce fait, de plus en plus de transporteurs de marchandises réalisant plus de 100 000 km par an se tournent aujourd’hui vers le GNV/bioGNV pour des raisons économiques.

Contrairement à l’électricité, les biocarburants présentent peu d’enjeux en termes de développement technologique pour le véhicule. En revanche, les biocarburants devront nécessairement évoluer pour augmenter leur impact positif sur l’environnement : en réhaussant significativement leur taux d’incorporation dans leur équivalent fossile (essence, gazole, GNV, etc.)[vii] et en se tournant progressivement vers des filières de production plus vertueuses.

La révision de 2018 de la directive énergies renouvelables plafonne à 7% les biocarburants de 1ère génération (i.e. à partir de cultures alimentaires) à partir de 2021 et définit un plancher pour l’utilisation des biocarburants de 2ème génération (i.e. à partir de déchets ou de synthèse) pour 2030. Cette transition progressive de la première vers la deuxième génération vise à empêcher la massification des cultures énergétiques qui peuvent concurrencer les cultures alimentaires ou causer des phénomènes de déforestation. Dans certains cas, cette suppression de puits de carbone peut même rendre un biocarburant virtuellement plus émetteur de CO2 que de l’essence ou du gazole. La filière GNV française se place par exemple d’ores-et-déjà dans cette optique : la méthanisation à partir de cultures énergétiques est limitée dans la loi à hauteur de 15% alors que plusieurs pays en Europe, comme l’Allemagne, ne fixent pas de limitation.

La réflexion sur le transport routier de demain doit passer par une réflexion plus globale, par usage plus que par filière énergétique

En 2040, l’IEA[viii] prévoit que plus de la moitié de la demande d’énergie de l’Union Européenne dans les transports sera assurée par les carburants pétroliers, le reste étant partagé entre l’électricité, le gaz et les biocarburants. Le modèle actuel de mobilité quasiment uni-carburant (produits pétroliers à plus de 90%) se transformerait donc peu à peu en mobilité multi-carburant en fonction des catégories de véhicules et des usages.

Les plans de déploiement de carburants alternatifs sont actuellement silotés par filière énergétique. On peut citer en exemple le « Contrat stratégique de la filière Automobile 2018 – 2022 » largement dévolu au développement du véhicule électrique, le « Plan Hydrogène » de Juin 2018 ou encore les différentes mesures prises en faveur du GNV depuis fin 2017[ix]. Cette vision par carburant/motorisation[x]est moins adaptée pour couvrir l’ensemble des besoins de mobilité qu’une vision par usage.

Par ailleurs, les mécanismes fiscaux ou réglementaires d’incitation aux carburants alternatifs « neutres technologiquement » se basent aujourd’hui sur les émissions de gaz à effet de serre au pot d’échappement du véhicule. Ils ne comptabilisent donc pas le carbone « neutre » provenant de biomasse et rarement les émissions de polluants atmosphériques. Idéalement, la fiscalité devrait consolider l’ensemble des externalités de chaque technologie pour laisser l’utilisateur s’orienter vers la solution la plus adaptée à son besoin, la plus économique et la plus vertueuse pour la société.

Les choix technologiques des professionnels du transport de voyageurs ou de marchandises répondent à des besoins en performance précis et des raisonnements économiques optimisés et rationnels. Les professionnels arbitreront donc en faveur des technologies les plus respectueuses si les incitations sont correctement dimensionnées. En revanche, le caractère diffus des besoins en mobilité des particuliers (diversité des usages, kilomètres annuellement parcourus, fréquence d’utilisation), qui représentent plus de 90% du transport routier de personnes, rend complexe le déploiement de véhicules propres adaptés aux besoins de chaque citoyen, contrairement aux véhicules à essence ou diesel qui couvrent l’ensemble des besoins. L’autopartage, en plus d’accélérer le renouvellement naturel des véhicules par une utilisation intensive, pourrait participer à répondre à cet enjeu en proposant une flotte de véhicules multi-motorisations au consommateur : mise à disposition d’un véhicule pour les trajets quotidiens, et d’un autre pour les longs trajets comme les départs en vacances.


Notes : 

[i] Au-delà de 2030, des batteries Li-Air et Li-Soufre plus denses énergétiquement pourront potentiellement se développer

[ii] Le rapport « Les métaux rares » (2018), rédigé par l’Académie des sciences et l’Académie des technologies, avance que la production mondiale actuelle de Cobalt et de Lithium est inférieure aux besoins pour produire 2 millions de véhicules par an, soit le nombre de ventes annuelles de voitures neuves en France

[iii] Création complète d’une chaîne logistique et d’une chaîne de valeur

[iv] Qui transforme l’électricité en hydrogène

[v] A partir de CO2 capté par la biomasse ou de rectement capté dans l’atmosphère

[vi] Analyse de Cycle de Vie, prenant en compte les émissions totales de GES, de l’extraction/récupération du carburant à sa combustion dans le moteur

[vii] En France nous trouvons entre autres le B30 (30%), le E85 (65-85%), le ED95 (90%), le B100 (100%) ou le bioGNV

[viii] International Energy Agency

[ix] Appels à projets ADEME, mesures fiscales favorables

[x] Certains exercices long-termistes, comme la SNBC ou la PPE, adoptent parfois une vision par usage. La loi d’orientations des mobilités devrait également développer cet angle.