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Les collectivités territoriales face à l’essor du véhicule électrique

Comment mettre en place un maillage de bornes de recharge adapté à son territoire ?

En ligne avec l’objectif de mettre fin aux ventes de véhicules thermiques en France pour 2040[i], le gouvernement annonçait en 2018 dans le Contrat Stratégique de la Filière Automobile, conjointement avec l’industrie automobile française, l’objectif d’installer 100 000 points de recharge publiques pour véhicules électriques d’ici 2022[ii]. En décembre 2019, l’AVERE recensait 28 600 points de recharge ouverts au public à travers la France[iii]. L’effort à fournir pour atteindre l’objectif annoncé pour 2022 s’annonce donc conséquent.

Cet effort doit être en grande partie soutenu par les collectivités territoriales qui endossent les rôles de décideurs publics et de pilotes des projets de déploiement d’Infrastructure de Recharge pour Véhicules Electriques (IRVE) sur leur territoire, en complément de l’offre privée. Le maillage d’une zone géographique en infrastructures de recharge est un exercice stratégiquement et opérationnellement complexe, qui nécessite de travailler de concert avec de nombreux acteurs et de connaître les territoires et les usages de mobilité. Aujourd’hui, 52% des collectivités territoriales reconnaissent n’utiliser aucun critère de dimensionnement dans leur plan de déploiement, et suivre plutôt une logique de couverture homogène du territoire[iv].

Dans ce contexte, quels sont les leviers des collectivités pour optimiser le maillage de leur territoire et répondre aux enjeux du développement de la mobilité électrique ?

En premier lieu, définir les objectifs visés par un déploiement IRVE à l’échelle d’une collectivité

Pour réussir et pérenniser un déploiement IRVE sur son territoire, une collectivité doit en premier lieu définir les objectifs qu’elle souhaite atteindre en matière de mobilité électrique.

Un des premiers objectifs apparaît naturellement comme un objectif environnemental : accompagner l’essor d’une mobilité plus propre en proposant des solutions de recharge en réponse aux besoins de proximité des utilisateurs de véhicules électriques. En effet l’accès à la recharge est l’une des préoccupations majeures des automobilistes, et l’un des freins principaux à l’acquisition d’un véhicule électrique selon 54% des Français[v]. Par ailleurs dans un sondage paru fin 2019, 42% des Français interrogés estiment que les possibilités de recharge sont insuffisantes[vi]. Ainsi pour une collectivité, favoriser la mobilité électrique implique des besoins en installation d’IRVE publiques sur son territoire.

Mais les objectifs environnementaux ne sont pas les seuls à considérer : le déploiement d’IRVE revêt aussi des dimensions stratégiques, économiques, sociétales, réglementaires et politiques pour les collectivités territoriales :

Les objectifs de mobilité électrique d’une collectivité doivent être définis en prenant en compte ces différentes dimensions, notamment le volet occupation de l’espace public et le volet mobilité au sens large. Par exemple, un déploiement massif d’IRVE peut être défavorable à un objectif de désengorgement du territoire : faciliter l’accès à la recharge peut inciter les conducteurs à délaisser les transports en commun au profit de l’utilisation d’un véhicule individuel, induisant alors une augmentation du nombre de véhicules sur les routes.

Les collectivités locales doivent également tenir compte des réglementations en cours et à venir aux mailles européenne[vii], nationale[viii] et locale[ix]. A date, ces dernières portent surtout sur le nombre d’IRVE à mettre à disposition dans les territoires sans imposer un quota minimum par collectivité ; mais cela pourrait évoluer dans les années à venir dans une optique d’accélération de la transition vers une mobilité décarbonée.

Ainsi, le déploiement d’IRVE favorise la transition vers une mobilité décarbonée, activant de nombreuses opportunités pour les collectivités territoriales. Afin d’assurer la réussite du déploiement, il est recommandé à ces dernières de l’encadrer par des objectifs clairs et cohérents avec le reste de leur politique publique, ces objectifs se révélant dimensionnants.

Identifier et mobiliser les parties prenantes dès la conception du déploiement

Un déploiement IRVE nécessite de mobiliser différents acteurs de l’écosystème mobilité électrique, regroupant des expertises complémentaires ou témoignant des besoins et usages au sein de la collectivité :

De nouveaux rôles émergent comme celui d’opérateur de services de mobilité, et de nouveaux entrants publics (organismes publics d’appui aux collectivités) et privés apparaissent. Un travail de concert entre parties prenantes en amont du déploiement permet d’optimiser le projet et d’en maîtriser les coûts et les délais. Par exemple, définir en avance de phase avec le gestionnaire de réseau les modes de raccordement permet d’optimiser les investissements liés au réseau électrique.

Certains organismes publics ou associations tels que l’AVERE en France, supervisent, conseillent et partagent les bonnes pratiques de déploiement d'IRVE aux collectivités locales. D’autre part, collaborer avec un CPO (Charging Point Operator, ou Exploitant de Point de Recharge) apte à capter, agréger et analyser toutes les données issues des IRVE, permet l'optimisation du parc existant et une meilleure planification des déploiements à venir.

Avoir une connaissance fine des usages et du territoire

Définir un plan de déploiement adapté au territoire implique de déterminer trois éléments clés : les types d’IRVE à déployer en fonction de l’usage, les emplacements où chacun de ces types doit être déployé, et enfin le nombre de bornes de chaque type à déployer dans chaque zone. Pour cela, il est nécessaire de disposer de différentes données propres au territoire, qui peuvent se regrouper en quatre grandes catégories : les données de mobilité, les données techniques, les données territoriales et les données démographiques.

Les données de mobilité comprennent, entre autres, les différents cas d’usage du véhicule électrique, les données origine-destination et les flux de mobilité (y compris en transport en commun), l’évolution du trafic routier et le taux de pénétration du véhicule électrique, et enfin la pression de stationnement.

Les cas d’usage sont notamment clés pour déployer les points de recharge de façon adaptée : il n’apparait par exemple pas pertinent de déployer de nombreuses bornes publiques de recharge dans des zones résidentielles pavillonnaires, les usagers disposant d’un parking privé privilégiant sans doute l’utilisation d’une borne de recharge à domicile. Autre exemple, les taxis électriques, fréquemment en déplacement et ne marquant que de courts arrêts au cours de la journée, auront ainsi besoin de bornes de recharge rapide voire ultra-rapide facilement accessibles. Ces bornes sont donc généralement déployées aux endroits stratégiques où les taxis marquent un arrêt, par exemple aux alentours des gares et des aéroports.

Les données origine-destination et l’évolution des flux de mobilité permettent, par exemple, d’identifier les axes routiers particulièrement empruntés ; il sera probablement nécessaire de disposer d’IRVE à forte puissance le long de ces axes. L’évolution du trafic routier et le taux de pénétration du véhicule électrique permettent d’anticiper les besoins actuels et futurs en IRVE : dans une collectivité où le taux de pénétration est élevé, de nombreux points de recharge publics seront potentiellement à prévoir.

Enfin, le déploiement d’IRVE a tendance à augmenter la pression de stationnement, définie comme le niveau de la demande en places de stationnement au regard du nombre de places disponibles. En effet la majorité des installations IRVE publiques se fait sur des emplacements de stationnement existants : dédier ces emplacements à la recharge diminue le nombre d’emplacements disponibles pour du stationnement seul et augmente mécaniquement la pression de stationnement.

Par ailleurs, les données techniques telles que l’état du réseau électrique ou la cartographie des IRVE déjà déployées et leurs caractéristiques (niveau de puissance notamment) sont essentielles pour cartographier le territoire.

Connaître l’état du réseau électrique à la maille locale et territoriale ainsi que sa capacité à absorber une augmentation significative des recharges de VE est structurant : le point le plus dimensionnant est en effet l’appel de puissance qu’induisent les recharges. En fonction de la localisation des postes électriques existants, de l’état et des contraintes du réseau, le raccordement d'IRVE au système électrique peut engendrer des travaux d’extension et/ou de renforcement du réseau en plus de la création de nouveaux points de livraison, nécessitant alors des investissements coûteux.

Cependant, des leviers existent aujourd’hui pour diminuer l’impact des IRVE sur le réseau : par exemple, le smartcharging permet de moduler la puissance de soutirage de la borne en fonction des contraintes du réseau. D’autres leviers sont à l’étude, comme le V2G (Vehicle-to-Grid) : ce service de recharge bidirectionnelle entre le véhicule et le réseau permet non seulement de réguler la puissance soutirée par la borne, mais aussi de réinjecter l’énergie stockée dans la batterie sur le réseau quand cela est nécessaire.

Enfin se pose la question de l’obsolescence technologique des IRVE : aujourd’hui les ruptures technologiques dans le domaine de la mobilité électrique se font sur un pas de temps plus faible que la durée de vie des équipements. Or l’installation de bornes de recharge publiques a un coût conséquent, dont l’amortissement voire la rentabilité doivent être anticipés : il est ainsi important de s’assurer que les IRVE installées aujourd’hui ne deviennent pas obsolètes dans les années à venir, soit en anticipant lorsque possible les ruptures technologiques à venir, soit en provisionnant des travaux de mise à jour des IRVE pour s’y adapter.

En troisième lieu, les données territoriales : elles correspondent au zonage du territoire et aux usages associés (zones résidentielles pavillonnaires ou en copropriété, zones d’activités ou zones touristiques, zones de trafic dense, terminaux de transport en commun…). Les types de bornes de recharge à déployer varient selon le zonage : un hub de recharge rapide sera plus adapté à une zone de fort trafic, tandis que des recharges normales conviendront davantage à une zone résidentielle. Un terminal de transport en commun (gare ferroviaire, gare routière) peut aussi être équipé de bornes de recharge pour favoriser les modes de transport multimodaux. Par ailleurs, les données de planification urbaine permettent de mettre un déploiement IRVE en regard d’une ambition de valorisation d’un territoire : par exemple un parc IRVE déployé sur une zone commerciale peut en devenir un levier d’attractivité ou de développement, attirant ou fidélisant une clientèle y trouvant l’opportunité de concilier recharge de VE et achats.

Enfin, les données démographiques concernent l’évolution de la population. Par exemple, une forte croissance de population au sein d’une collectivité peut supposer une augmentation à venir du nombre de véhicules électriques, et peut inciter les collectivités à augmenter en conséquence les prévisions de bornes de recharge. Les données de densité démographique (résidentielle ou d’activité) sont aussi nécessaires pour évaluer le taux d’utilisation prévisionnel d’un parc de bornes (combien de conducteurs se trouveront à proximité de ce parc), et donc pour évaluer sa rentabilité.

Tirer parti de l’analyse des différentes données propres aux usages et au territoire

Une fois ces différentes données connues, les analyser grâce à un algorithme d’optimisation permet de déterminer les trois éléments clés constituant un plan de déploiement IRVE : les types de points de recharge nécessaires, les emplacements géographiques où chacun de ces types doivent être déployés, et le nombre de points de recharge à déployer par type et par emplacement.

Ainsi, l’analyse combinée de données de mobilité, techniques, géographiques et démographiques propres au territoire de la collectivité permet de définir un plan de déploiement adapté, répondant aux objectifs de la collectivité.

Différentes stratégies sont envisageables pour mettre en œuvre un déploiement IRVE, parmi lesquelles se démarquent particulièrement le déploiement par opportunité et le déploiement stratégique (voir ci-dessous). Ces stratégies peuvent être mixées selon l’avancement d’autres projets connexes (travaux de voirie par exemple), ou encore selon les priorités données au déploiement IRVE.

Ces deux stratégies peuvent être complétées par une offre de bornes à la demande, comme cela est par exemple le cas à Amsterdam et Oslo, deux villes où le maillage en IRVE est déjà conséquent.

Mettre en œuvre un maillage d’IRVE publiques adapté du territoire nécessite différents éléments clés : une définition précise des objectifs visés s’inscrivant dans le respect des politiques existantes et à venir, la mise en place d’un écosystème d’acteurs et de partenaires rassemblant des expertises complémentaires, la définition d’une stratégie de déploiement reposant sur l’analyse de données propres aux usages et au territoire. Aujourd’hui, le nombre de véhicules électriques croît plus rapidement que le nombre d’IRVE publiques : anticipation et planification (urbaine, financière et opérationnelle) sont nécessaires de la part des collectivités territoriales pour éviter des déploiements non maîtrisés, parfois dans l’urgence.

 

A venir dans un prochain article : quels modèles de financement et d’exploitation des IRVE par les collectivités ?

 

Un article écrit par Sophie Drouglazet-Giraud et Florent Kleider