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L’économie de la fonctionnalité

Une enveloppe annuelle d’environ 3,5 millions d’euros permettrait de tripler le nombre d’entreprises développant ce modèle économique

En s’appuyant sur sa première expérience « Decathlon Rent » (location longue durée de vélos garantis en bon état), en juillet dernier, l’enseigne sportive Decathlon a renforcé son positionnement dans l’économie de la fonctionnalité en étendant sa gamme d’articles sportifs accessibles via ce nouveau modèle économique. Sia Partners propose de faire le point sur ce pilier de l’économie circulaire.

Partie intégrante de l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité fait référence à un modèle économique qui repose non pas sur la vente d'un bien ou d'un service mais sur la vente d'un usage performant. Autrement dit, la valeur de la transaction ne correspond plus à la valeur du produit mais à la valeur du service rendu par ce produit. Ce nouveau modèle économique, encore émergent, suppose une transformation des logiques de marché fondées sur la corrélation volume-valeur, une évolution des modes de consommation ainsi que la mobilisation de ressources humaines et financières. Bien que ce changement de modèle soit financé en partie par les entreprises, l’ADEME et les régions participent également à son financement. 4,2 millions d’euros ont ainsi été mobilisés par ces financeurs publics pour soutenir l’économie de la fonctionnalité entre 2013 et 2018 [iii].  

1. L’économie de la fonctionnalité, un modèle économique qui s'inscrit dans l'économie circulaire

Selon la définition de l’ADEME, l’économie de la fonctionnalité constitue un des sept piliers de l’économie circulaire et s'inscrit dans les actions portées par les acteurs économiques.

Note : Ce schéma est extrait de l’étude EIT disponible ici 

Fondé sur la mise à disposition d’un usage plutôt que sur la possession d’un bien, ce modèle économique se distingue néanmoins de la logique de location. En effet, bien que dans ces deux schémas, l’offreur reste propriétaire du bien tout au long de son cycle de vie, l’économie de la fonctionnalité dépasse la logique valeur-volume sous-jacente à la location pour proposer des offres fondées sur un contrat avec une obligation de performance ou de résultat du bien. A l’image du service proposé par Decathlon Rent, les offres s’inscrivant dans l’économie de la fonctionnalité sont souvent assorties de services de maintenance des biens. A titre d’exemple, Elis, entreprise française spécialisée dans le nettoyage et l’hygiène, met à disposition des entreprises des vêtements professionnels avec un service d’entretien inclus (blanchissement, réparation, redistribution). En nettoyant et réparant les tenues de travail après chaque utilisation, l’entreprise garantit leur qualité et leur durabilité sur le long terme, dépassant ainsi la logique de la location[i].

A l’instar de Elis ou Decathlon, la mise en place d’une offre d’économie de la fonctionnalité nécessite l'identification d'un besoin, sous forme « d’unité fonctionnelle » quantifiable. Cette unité fonctionnelle ne porte pas sur le produit mais bien sur la fonction qui lui est associée. La démarche à adopter est la suivante : 

1. Définir l’objet d’étude (bien ou service)

2. Identifier la fonction associée à cet objet 

3. Choisir une unité fonctionnelle pertinente qui lui est associée 

4. Définir une offre qui remplit l’unité fonctionnelle tout en répondant aux enjeux de Développement Durable (bénéfices économiques, environnementaux, sociaux)

Le schéma suivant présente la méthodologie appliquée à trois secteurs : le transport, l’habillement et le mobilier. 

 

2. L’économie de la fonctionnalité suppose une transformation du Business Model de l'entreprise.

L’économie de la fonctionnalité est un modèle économique qui concerne presque tous les secteurs et types d’entreprises, depuis les groupes internationaux jusqu’aux TPE et start-up[ii]

Néanmoins, cette approche se traduit généralement par la mise en place d’un nouveau mode de commercialisation qui suppose une transformation en profondeur du modèle d’affaire de l'entreprise et des compétences de ses collaborateurs. Comme ces nouvelles offres sont co-construites avec le client, elles reposent davantage sur un engagement contractuel de long terme, qui privilégie la compréhension fine des besoins, la qualité des biens et des services associés, dépassant ainsi le format transactionnel classique qui consiste à vendre plus. 

Au-delà de la contractualisation, l’entreprise doit adapter son organisation et ses compétences pour répondre aux évolutions de contexte et ainsi ajuster ses offres en fonction des besoins de ses clients. En effet, c’est désormais l’accompagnement personnalisé du client qui constitue la principale création de valeur pour l’entreprise. Cette évolution des métiers repose sur une organisation globale de l’entreprise où les différents départements coopèrent, dépassant la logique de silo. 

Enfin, pour amorcer une telle transformation, il est nécessaire de disposer d’une stabilité financière suffisante sur toute la durée de la mise en œuvre. Les entreprises peuvent en parallèle bénéficier d’accompagnements externes, de la part d’acteurs tiers tels que l’ADEME[iv]. Bien que les retours d’expérience aient démontré la soutenabilité de ce business model sur le long terme[iv], les aides au financement sont toutefois nécessaires pour soutenir ces modèles encore en structuration. Une enveloppe annuelle de 3,5 millions d’euros permettrait de tripler le nombre d’entreprises accompagnées par l’ADEME et les Régions pour atteindre 100 nouvelles entreprises chaque année. En effet pour qu’une telle transformation soit pérenne au sein d’une entreprise, elle nécessite des formations (initiales puis continues), un suivi individuel (accompagnement, conseil) ainsi qu’une ressource qui serait, entre autres, en charge de la conduite du changement pendant 2-3 ans [iii]. Un tel financement étant généralement pris en charge à hauteur de 65% par les Régions et l’ADEME[iii], une enveloppe de 3,5 millions d’euros chaque année permettrait de soutenir 68 entreprises en plus de la trentaine développant chaque année d’ores et déjà des modèles d’’économie de la fonctionnalité.

 

L’économie de la fonctionnalité constitue ainsi une réelle opportunité de transformation pour les entreprises mais également pour leurs clients :

Source : analyse Sia Partners d’après données de l’ADEME[iv]

3. Une structuration progressive des pratiques permet un meilleur accompagnement des entreprises amorçant leur transformation

La dynamique de l’économie de la fonctionnalité se structure autour d’une diversité d’acteurs. L’Institut Européen de l’Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération (IEEFC) promeut ce modèle économique à l’échelle nationale en s’appuyant sur un réseau de clubs régionaux (8 en France métropolitaine et 1 en outre-mer, d’après l’IEEFC) qui orientent les acteurs intéressés par la démarche. Cet accompagnement se traduit notamment sous la forme de groupes de travail regroupant des entreprises, des acheteurs publics et les Régions pour co-construire des solutions d’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC). 

Par ailleurs, l’université d’été de l’EFC, les formations proposées par les acteurs spécialisés et les programmes d’accompagnement sont autant de moyens mis à disposition des acteurs économiques pour faciliter leur transformation. Enfin, l’ADEME souhaite aller plus loin avec son programme COOP’TER qui vise à constituer une communauté d’accompagnateurs de projets d’EFC et dresser un état des lieux des acteurs territoriaux.[v] Aujourd'hui, la mise en place d’une offre en économie de la fonctionnalité à l’échelle d’une entreprise nécessite de dépasser les quelques éléments de blocage subsistants. 

Les exemples emblématiques de l’économie de la fonctionnalité (Michelin, SEB, Xerox,…) ont permis d’identifier les freins et les réponses à apporter pour accélérer l’adoption de ce modèle économique par un plus grand nombre d’acteurs économiques. Les ressources mobilisées par l’ADEME et les régions seront essentielles, dans un premier temps, pour assurer le changement d’échelle de ce modèle économique.

 

Une analyse d’Alexandra Pan et Xavier Robert-Baby

 


Notes et Références : 

[i] Rapport du suivi des engagements pris par les grandes entreprises  de l’Afep en faveur de l’économie circulaire, 2019 

[ii] Economie de la fonctionnalité ou vente de l’usage, une innovation organisationnelle de rupture en phase avec le nouveau cycle macroéconomique, Eric Froment, 2017

[iii] Panorama national et pistes d’action sur l’économie de la fonctionnalité, ADEME, 2020

[iv] Expériences d'entreprises en économie de la fonctionnalité, ADEME, 2020

[v] Programme COOP’TER de l’ADEME, juillet 2020