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La réduction des effectifs au Ministère de la Défense, premier bilan

En 2008 le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a défini les orientations stratégiques de l'armée et s'est traduit par une forte réduction des effectifs.

Entre temps la pression sur les finances publiques s'est considérablement accrue, alors que les réductions d'effectifs n'ont pas entrainé les économies escomptées. Contraction des crédits et réduction des effectifs posent alors la question du maintien de la capacité opérationnelle de l'armée.

Le Livre blanc de juin 2008 définit des priorités stratégiques pour la défense et une rationalisation budgétaire : 54 000 postes devant être supprimés en 7 ans

Lorsqu’en juin 2008 fut publié le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, l’ampleur de la crise financière ne s’était pas encore révélée. Aussi la réforme des armées de 2008 se présentait-elle essentiellement comme un ajustement aux enjeux de la mondialisation et une rationalisation de la dépense budgétaire. Il fut décidé de concentrer l’effort financier sur les priorités stratégiques : renseignement, dissuasion nucléaire et forces opérationnelles rapidement mobilisables. C’est ainsi qu’une importante réduction des effectifs fut annoncée pour permettre de dégager des économies budgétaires sur la masse salariale et les réinvestir dans l’équipement. L’armée de terre étant soumise à une déflation de 17% de ses effectifs, l’armée de l’air de 24% et la marine de 15%.

Les orientations du livre blanc ont été perturbées dès 2008 par un imprévu majeur : une crise financière suivie d’une crise de la dette générant une pression extrême sur la dépense publique

Initialement, le livre blanc ne prévoyait pas de baisse du budget (30,38Md€ en crédits de paiement en 2008) mais une rationalisation de celui-ci après quoi interviendrait une augmentation de 1% à partir de 2012. Malgré un plan de relance qui poussa à la hausse le budget en 2009 (+5,4%), la crise a fortement affecté l’équilibre budgétaire. En effet la crise financière perdurant, celle-ci s’est transformée en crise de la dette, déstabilisant en particulier les économies européennes. A l’été 2010, la France s’engagea à réduire son déficit public de 7% du PIB à moins de 3% d’ici fin 2013. Pour la période 2011 -2013, c’est près de 3,5Md€[1] qui furent alors retirés au ministère de la Défense.

Par ailleurs, la réduction des effectifs était censée avoir permis de dégager des économies pour financer ces investissements. La loi de programmation militaire (PLM) relative au livre blanc prévoyait ainsi des économies à hauteur de 5,4Md€ dont 1,1 Md€ avant fin 2011. Or il n’en a rien été. L’effectif global a certes été réduit sur la période 2008-2011 de près de 29 000 emplois, conformément à la trajectoire envisagée dans la LPM pour atteindre 54 000 en 2015. En revanche, la masse salariale a augmenté sur la même période de plus d’un milliard d’euros[1]. Le ministère de la défense l’explique par une augmentation de près de 40% des dépenses liées à l’accompagnement des personnels restructurés et des indemnités départ ou chômage afférentes. Il apparait en outre que la réduction des effectifs a provoqué une hausse du taux d’encadrement[2](15,9% en 2011 contre 14,6% en 2008), dont le cout salarial est le plus important. Au total c’est un écart de près de 4,1 Md€ avec les ressources prévues par la LPM que le ministère de la défense devra accuser d’ici fin 2013. La défense est donc confrontée aujourd’hui à un réel problème de financement des investissements.

Cette réduction d’effectifs, associée à la contraction des crédits d’investissement, pose la question du maintien de la capacité opérationnelle de l’armée

Il semble que les derniers succès des opérations extérieures (Afghanistan, Cote d’Ivoire, Lybie, Mali) ont démontré que la France avait encore les moyens techniques de ses ambitions en matière de politique extérieure. Néanmoins ces guerres ont révélé combien rationalisation et mutualisation pouvaient avoir été trop restrictives pour une administration militaire, qui n’a pas les mêmes impératifs en temps de paix et en temps de guerre. Lors de la campagne en Lybie notamment, la tension sur les moyens de soutien[3] a pu se révéler extrême tandis que des arbitrages ont dû être réalisés entre les différentes missions assignées à l’armée. Il devient manifeste que l’engagement opérationnel prévu par le livre blanc « ne peut être tenu en permanence »[4] selon les mots de la Cour des comptes.

Certains se demandent aujourd’hui si la politique de défense ne pourrait pas encore plus se concentrer sur les axes définis en 2008, et en fonction, affiner encore davantage le format de l’armée. Mondialisation, construction européenne et règne du soft power remettent en question selon eux la pertinence du maintien à niveau de la 4e armée au monde (derrière les Etats-Unis, la Russie et la Chine). Devant un tel raisonnement, le général Jean-Louis Georgelin, ancien chef d’Etat-major des armées, s’est étonné « ou de la mauvaise foi ou de l’angélisme post moderne »[5] de ceux qui pensent que la défense n’a pas depuis longtemps engagé une réflexion sur l’évolution des enjeux et des outils de la défense. Dans un contexte où les dépenses d’armement augmentent partout dans le monde, où l’Europe de la défense demeure embryonnaire (le budget de l’Agence Européenne de Défense plafonne à 30M€), diminuer l’effort de défense, c’est toujours plus se mettre en dépendance de la puissance militaire américaine via l’OTAN. D’autre part, avec seulement 1,7% de son PIB consacré à la défense, la France est déjà en dessous du critère de 2% considéré par l’OTAN comme le seuil du niveau de dépense pour assurer un niveau de sécurité crédible[6].

C’est donc désormais une réflexion sur le format et le niveau d’ambition pour la défense française qui est actuellement à l’œuvre dans la rédaction du nouveau livre blanc de 2013. La défense a désormais atteint une taille critique, une nouvelle réduction d’effectifs ne pouvant s’effectuer sans redéfinition des missions de la défense. A cet égard, il faut espérer que le calcul politique à court terme concernant la réduction du déficit public –il n’y a pas de syndicats au Ministère de la Défense- ne se substitue pas à la réflexion stratégique à long terme.

Avec 30,15 Md€ pour 2013, la défense représente 10%[7] du budget de l’Etat, mais supporte pour 2013 près de 60%[8] des réductions d’effectifs prévus au sein de l’Etat. Mauvais présage ?

 


[1] Troisième loi de finances rectificative pour 2010
[2] Cour des comptes, Rapport public thématique, Juillet 2012
[3] Avis présenté au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2012, audition de l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine
[4] Cour des comptes, Rapport public thématique, Juillet 2012
[5] Commission de la défense nationale et des forces armées, novembre 2012
[6] Rapport stratégique de l’OTAN, NATO 2020 assured security ; dynamic engagement, mai 2010
[7] PLF 2013, Dépenses du budget général de l’Etat : 291,2Md€
[8] PLF 2013, 12 298 postes supprimés dans les ministères en 2013, dont 7234 postes au ministère de la défense.