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La presse écrite en crise

Alors qu'une crise mondiale touche sévèrement la presse écrite depuis une dizaine d'années, Internet est souvent montré du doigt comme le principal responsable.

Alors qu'une crise mondiale touche sévèrement la presse écrite depuis une dizaine d'années, Internet est souvent montré du doigt comme le principal responsable. La crise financière actuelle perturbe d'autant plus le secteur qu'elle affecte bon nombre d'annonceurs et d'acheteurs : ses deux principales sources de financement. La remise du livre vert des Etats Généraux de la presse le 8 janvier à Christine Albanel nous donne l'occasion de décrypter ces enjeux

Malgré l'état d' « urgence » déclaré par les Etats Généraux de la Presse, la crise de la presse n'est pas nouvelle. Alors qu'au départ la presse quotidienne nationale (PQN) d'information générale payante était la principale touchée, aujourd'hui c'est tout le secteur qui est en crise : les journaux gratuits, la presse quotidienne régionale (PQR) mais aussi les magazines et même la presse spécialisée.
Par exemple en France, Libération, par la voix de son actionnaire majoritaire, a confirmé en janvier l'« évolution zéro de la masse salariale » réclamée en décembre en ajoutant un objectif d'économies de 150.000 euros (en 2007 son CA était de 54 millions) par mois pour le premier trimestre 2009. De même, le groupe l'Express-Roularta a annoncé le 12 janvier un plan d'économies de 10 millions d'euros accompagné de 51 suppressions de postes. France-Soir a obtenu une modification de la loi afin de pouvoir être racheté par un oligarque russe.
A l'étranger, la crise est aussi présente puisque en Angleterre, le Financial Times a annoncé le même jour la suppression de 80 postes. Aux Etats-Unis, le milliardaire Carlos Slim, propriétaire du groupe de télécommunication mexicain Telmex, investirait 250 millions de dollars (soit 11% de capital qui s'ajoute à ses 6,4% achetés en septembre) dans le groupe New York Times afin de l'aider à lutter contre sa dette de 1,1 milliard de dollars. Déjà en décembre 2008, le groupe Tribune (Chicago Tribune, Los Angeles Times, etc.) s'était déclaré en faillite. Aux Etats-Unis, 13 000 postes de journalistes ont été supprimés en 2008.

Les principales causes de la crise

La sous capitalisation chronique et l'obstacle règlementaire

Les médias en général et la presse écrite en particulier souffrent d'un manque de capitalisation chronique qui l'empêche de financer de lourds changements pourtant nécessaires et de réaliser des économies d'échelle. En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale et la refondation de la presse dans les pays occidentaux, la presse d'information est conçue comme ayant une fonction d'intérêt public difficilement compatible avec le capitalisme de marché. Il est difficile d'envisager des groupes de presse qui réalisent des bénéfices. En France, depuis 1986, la loi limite la concentration dans le secteur des médias. Les publications d'un groupe de presse ne peuvent dépasser les 30% du total des publications quotidiennes. Cette loi limite aussi à 20% les parts du capital appartenant à un actionnaire extra communautaire (d'où l'incertitude au sujet de la reprise de France-Soir). Enfin, elle impose aux grands groupes le principe de 2 médias sur 3. Par exemple, Lagardère qui possède des radios comme Europe 1 et des titres de presse avec Hachette ne peut investir dans la télévision. En France, la situation est d'autant plus préoccupante que les capacités économiques sont inférieures à celle du Royaume-Uni, de l'Italie ou de l'Allemagne.

La presse écrite souffre d'un effet de ciseaux : hausse des coûts et baisse des recettes

 

Des coûts en hausse

En France, la rentabilité économique de la presse est particulièrement faible. Ses coûts sont 30 à 40% plus élevés que ses voisins européens. Les coûts de rédaction augmentent non pas à cause du coût rédactionnel de l'information de qualité mais principalement à cause des clauses de conscience et de cession, particulièrement importantes en France, qui garantissent l'indépendance rédactionnelle d'un titre de presse. Les coûts fixes de production et d'impression en France subissent la loi du Syndicat du livre et de la Société Professionnelle des Papiers de Presse créés tous les deux en 1947 qui possèdent des avantages sociaux et un pouvoir de négociations et de revendications considérable. Les Nouvelles Messageries de la Presse Parisiennes, elles aussi créées en 1947, reproduisent la même situation au niveau de la distribution en continuant notamment à imprimer des titres de PQN à Paris afin de les envoyer ensuite en province par avion. Du fait de ces coûts spécifiquement français, la marge et le rendement sont très faibles (7% et 5% en moyenne). Ainsi, l'économie de distribution de la presse est si précaire que le kiosque est en danger. En effet, les revenus des kiosquiers français sont très bas (inférieur au SMIC pour un tiers d'entre eux). Ils touchent en moyenne une commission de 18% contrairement au 25% dans les pays voisins et les ventes ne cessent de diminuer. De multiples solutions ont été envisagées mais elles n'ont jamais abouti (par exemple la vente de cigarettes dans la rue étant compliqué du fait de la loi Evin).

Ainsi, la réponse actuelle à cette situation est une réduction massive des coûts pour tenter de compenser la baisse des recettes. La plupart du temps, la rédaction est le premier pôle de dépense réduit puisque c'est celui qui induit le moins de changements structurels. La plupart du temps, la qualité du journal souffre de ce processus qui ne fait qu'accélérer la crise, comme le montre le schéma ci-dessous, en diminuant la qualité du titre (en dépendant plus des agences de presse, en n'utilisant plus d'envoyés spéciaux, etc.) provoquant une défection du lectorat et une baisse des ventes.

 

Des recettes en baisse

Dans tous les pays développés, les ventes de la presse écrite ne cessent de diminuer. La baisse de la diffusion est tendancielle dans le secteur en France (diminution de 10% depuis 2000) et plus largement dans les économies développées. En outre, à cause de sa faible compétitivité vis-à-vis de ses concurrents, le lectorat de la presse écrite vieillit. Internet, les gratuits ou encore la radio et la télévision (notamment les chaines d'informations en continue) grignotent peu à peu des parts de marché et surtout attirent le nouveau lectorat. Le point commun de ces médias ? La gratuité et la facilité d'accès. La presse écrite traditionnelle souffre aussi de sa faible accessibilité. En effet, la presse écrite payante se situe dans une stratégie « pull » c'est-à-dire que le lecteur doit aller chercher l'information dans un point de vente ou faire la démarche de s'abonner. Son prix et son mode de distribution peuvent représenter des freins à sa lecture. Ses concurrents utilisent une stratégie « push » où l'on donne l'information au lecteur parfois même sans qu'il ne le demande : par exemple, on lui tend un journal gratuit en sortant du métro ou on lui résume l'actualité lorsqu'il consulte ses mails.

Le portage à domicile est fortement développé dans les pays Anglo-Saxons et en Europe du Nord (environ 60% des ventes) mais il est très faible dans des pays comme la France (autour de 17%) et est très variable d'un titre à un autre (72% pour Marianne mais 1% pour l'Equipe).
Avec les progrès technologiques actuels comme le déploiement de la 3G, la connexion Wifi dans le train ou dans l'avion et l'allongement de la durée de vie de nos machines, Internet concurrence même le dernier bastion de la lecture sur papier : les transports.
La crise financière mondiale actuelle affecte le pouvoir d'achat des ménages qui vont en conséquence réduire leurs dépenses dans la presse pour se tourner vers les modes d'information gratuits. Cette faible compétitivité de la presse écrite se manifeste aussi au niveau du lectorat. Lorsque pour tenter de pallier la baisse des recettes les groupes de presse font le choix d'augmenter le prix de leurs titres, l'effet obtenu est une baisse encore plus importante de leurs ventes puisque une partie de leurs lecteurs va s'informer différemment.

 

Par ailleurs, les recettes publicitaires de la presse écrite stagnent depuis 2001 alors que le marché de la publicité dans les médias augmente sur cette période au bénéfice des autres médias comme Internet. La presse écrite souffre de son manque de segmentation et de sa faible audience. Les petites annonces par exemple sont désormais principalement en ligne. Google a ainsi annoncé en ce mois de janvier 2009 la fermeture de Google Print Ads au 28 février parce que leur activité de commercialisation d'annonces pour la presse écrite ne rapporte pas assez. Avec la crise financière, les annonceurs doivent faire des choix stratégiques qui se traduisent par des réductions de leurs budgets publicitaires. Ainsi ils vont plutôt privilégier des médias qui proposent un meilleur ciblage, une meilleure mesure du retour sur investissement et des coûts moins élevés comme Internet par exemple. Selon Mats Carduner, le DG de Google France, c'est grâce à ce basculement de la publicité du physique au numérique que Google News a reversé en 2008 1,7 milliards d'euros à ses partenaires éditeurs d'informations. En France, afin de combler ce manque à gagner publicitaire, le livre vert des Etats Généraux de la presse préconise une hausse significative des investissements publicitaires de l'Etat dans la presse écrite à l'instar de ce que fait l'Etat Belge en consacrant 100% de ses dépenses publicitaires dans la presse traditionnelle.

La combinaison « print/web » est-elle la solution ?

A l'échelle mondiale, il apparaît qu'Internet ne concurrence pas encore la presse d'information. Internet couvre moins de pays que la presse traditionnelle (présente partout dans le monde). Les médias classiques ne sont pas encore concurrencés par Internet dans les pays en voie de développement et n'expriment donc pas le besoin de s'y développer. D'autre part, seul 15% des occidentaux qui s'informent sur Internet le font aussi dans les journaux. Il semblerait donc que cette combinaison « print/web » ne soit pas vraiment adaptée à la crise de la presse puisqu'elle ne répond pas vraiment aux enjeux globaux du secteur.

Le Web ne résout pas tout !

Bruno Patino, président du pôle « Le choc Internet, quels modèles pour la presse écrite ? », nuance l'influence d'Internet sur la presse traditionnelle. Ainsi, il faudrait « moderniser ses outils » et « renouveler ses formats » ou encore « étendre leurs champs d'actions sur de nouveaux supports » comme Internet. Internet est-il responsable de la crise du secteur ? Internet peut-il être un relais de croissance pour la presse traditionnelle ?

Internet n'est ni la menace principale ni la solution principale de la crise du secteur. En réalité, Internet est devenu un acteur majeur de l'information, un média à part entière. La Loi Bichet n'est pas remis en cause mais elle doit être modernisée notamment en ajoutant des considérations numériques. Aujourd'hui la crise qui touche la presse est plus générale puisqu'il s'agit plus d'une crise de l'information. Le débat se situe donc au même niveau que celui autour de l'audiovisuel puisqu'il porte aussi sur le nouveau modèle économique du gratuit, les droits d'auteurs et la préservation de la propriété intellectuelle. Les groupes de presse doivent repenser leur modèle en prenant en compte la baisse de la diffusion et la migration de la publicité vers le Web.
Et si la solution était intermédiaire ? En effet, notre étude, confirmée par d'autres analyses comme celle menée par l'Atelier BNP Paribas, tend à montrer l'opportunité de la création d'un « journal électronique » qui serait la forme aboutie d'un e-paper ... souple !
En outre, la tendance actuelle de notre société vers le développement durable et les greentechs nous incite à pencher vers ce type de supports puisqu'il diminue notre consommation de papier et d'électricité. En effet, environ 25% des quotidiens imprimés dans le monde sont détruits sans jamais avoir été lus ou vendus. Pour l'ensemble des quotidiens français, ce chiffre peut monter jusqu'à 40% voire 80% pour certains titres en particulier. Du côté de l'Internet, la consommation électrique est 3 fois plus élevée pour la lecture sur ce type d'appareil que sur un ordinateur (pour une utilisation supérieure à 30 minutes) standard.
Enfin, Nathalie Kosciusko-Morizet, ex-secrétaire d'Etat à l'Ecologie et nouvelle secrétaire d'Etat à l'économie numérique a récemment déclaré vouloir utiliser ses 10 années d'expériences politiques dans le domaine de l'écologie dans sa nouvelle mission au gouvernement. Elle est convaincue qu'il existe des « convergences » entre les deux sujets et que les greentechs représentent un enjeu majeur pour l'avenir des nouvelles technologies.

 

Informations complémentaires

Vendredi 23 janvier, Nicolas Sarkozy a réagi aux propositions du livre vert des Etats Généraux de la presse. Il s'est dit prêt à aider le secteur qui subit une triple révolution : une révolution structurelle (du secteur), une révolution technologique (numérique) et une révolution conjoncturelle (liée à la crise économique). Afin de relancer les ventes notamment par portage, le Président a reporté d'un an l'augmentation des tarifs postaux et a porté l'aide de l'état à 70 millions d'euros (au lieu de 8 millions). L'Etat va remplacer les annonceurs qui délaissent le secteur avec la crise économique mondiale en doublant ses dépenses de communications dans la presse (20% de ses dépenses, 20 millions d'euros). L'Etat ne va pas modifier la loi Bichet mais créer un statut d'éditeur en ligne avec des avantages fiscaux (sous conditions d'un traitement professionnel de l'information avec des journalistes professionnels) et un renforcement des aides de l'Etat pour la presse en ligne. L'Etat va aussi intervenir au niveau des investissements en modifiant la loi pour ouvrir à plus de 20% la part du capital détenu part un investisseur non communautaire et en favorisant le mécénat. Les coûts d'impressions devraient être réduits à la suite de discussions avec les partenaires sociaux du secteur. Enfin la dernière mesure - la plus symbolique - est le droit à un abonnement gratuit du quotidien de son choix pour tout jeune de 18 ans l'année de sa majorité. Notons que le président n'a pas conservé son projet de déconcentration des grands groupes médias.

 

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