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Gagner la guerre des talents dans les grands groupes français : la rémunération ne suffit plus

Synthèse de notre étude auprès du marché

La crise que nous traversons ne modifie pas fondamentalement les leviers d’attraction et de rétention des talents. En revanche, elle plonge de nombreux secteurs dans une véritable guerre des talents. Les dynamiques sectorielles sont différentes : certains secteurs recrutent massivement (informatique, santé, bâtiments et travaux publics, etc.), d’autres peinent à attirer et retenir (énergies fossiles, secteur de la défense, ou encore secteur bancaire). Cependant, l’enjeu est le même : attirer et retenir les talents, c’est prendre un avantage concurrentiel. Et les entreprises qui affichent une bonne santé dans cette période ne sont pas à l’abri : certains salariés les quittent, et se dirigent vers des structures leur offrant davantage de sécurité (dans l’optique d’une aggravation de la crise), ou étant davantage en phase avec leurs valeurs.

Dans ce contexte, une seule question demeure : comment gagner la guerre des talents? Certainement pas exclusivement par une rémunération avantageuse. Il suffit pour s’en rendre compte de constater le faible engouement des nouvelles générations pour rejoindre les entreprises où les brillants jeunes travailleurs rêvaient de faire carrière il y a encore 5 ans. Les talents attendent aujourd'hui des entreprises qu’elles leurs offrent des opportunités de développement professionnel et personnel et qu’elles incarnent les valeurs qu’elles revendiquent.

Afin de déterminer les leviers qui permettent de réussir à attirer et fidéliser les talents, Sia Partners a rencontré un panel de grands groupes français (300 à 200 000 collaborateurs) de multiples secteurs (luxe, agroalimentaire, environnement, banque, défense, immobilier commercial, aéronautique, assurance). De ces travaux ressortent 5 enseignements.

1) La mobilité professionnelle reste attractive pour fidéliser les talents

55% des entreprises interrogées mettent l’emphase sur des parcours de mobilité interne individualisés pour leurs talents, tenant compte de leurs appétences, de leurs forces et de la stratégie de l’entreprise. Cette mobilité interne présente l’avantage d’offrir des perspectives d'évolution aux talents tout en répondant en interne aux besoins de l'entreprise, le tout en réduisant les coûts généralement associés au recrutement sur des postes clés. Un levier particulièrement pertinent donc, à l’heure où de nombreuses organisations freinent leurs embauches.

La dimension internationale des mobilités professionnelles est en revanche fortement impactée par la Covid-19. 50% des entreprises interrogées favorisaient en pré-crise la mobilité à l’étranger pour leurs talents. “Cette initiative permet de partager les meilleures pratiques au sein du Groupe et de préparer les talents à prendre des postes avec un niveau de responsabilité supérieur à leur retour”, nous confiait la directrice du développement RH d’un grand groupe du secteur agroalimentaire. Pourtant, de nombreuses organisations devront mettre ce volet entre parenthèses pour les quelques années à venir. Elles doivent recentrer leurs efforts sur la gestion des expatriés restés en poste dans un contexte parfois difficile (mise en place de cellules d’écoute, renforcement des échanges, etc.) et de ceux contraints de revenir qui expriment certaines frustrations (aménagement des espaces de travail, suivi spécifique, etc.). 

2) La formation des talents n’a de sens que si elle est individualisée

75% des organisations interrogées définissent pour leurs talents des formations individualisées, doublement alignées avec les attentes de ces collaborateurs clés et la stratégie de l’organisation. Ces formations prennent souvent la forme d’un tronc commun de formations collectives (permettant de créer une synergie de groupe et de fédérer les talents autour de problématiques clés pour l’organisation), auxquelles viennent s’ajouter des choix de formation émis par les talents. Les collaborateurs clés sont ainsi des contributeurs de leur propre développement. Certaines organisations vont même plus loin dans cette démarche en plaçant le collaborateur au centre de la dynamique de formation. “Nous développons la learning culture, c’est-à-dire le fait de ne plus avoir de plan de formation, mais d’avoir des apprenants acteurs du learning & development : de les former à comment utiliser le Compte Personnel de Formation pour que chacun soit autonome dans sa démarche.”, nous confie ainsi le responsable du développement international des ressources humaines d’un groupe dans le secteur du luxe.

Les organisations font cependant aujourd’hui face au défi de maintenir leur activité de formation dans un contexte de distanciation sociale. Cela est nécessaire afin d’assurer la continuité de la montée en compétences des collaborateurs. Pour cela, il est primordial qu’elles adaptent leurs outils, en digitalisant massivement les contenus qui peuvent l’être. “Nous avons décidé de suspendre 3 des 4 programmes de développement du groupe en 2020. Les contraintes sanitaires ne permettent en effet pas d’organiser les sessions de formation en présentiel, et nécessitent un travail de reengineering important”, confie un responsable talent. Repenser les modalités de formation est donc nécessaire pour minimiser le retard pris en termes de formation, et assurer la pérennité de ce dispositif en cas de nouveaux défis, sanitaires ou non.

            Au-delà du format, c’est également le contenu des formations que les organisations doivent aujourd’hui adapter. D’une part, le contexte incertain renforce le besoin de développer l’employabilité des talents, via l’accès à des formations adaptées aux évolutions du marché. D’autre part, il est capital de mettre l’accent sur des “savoir-être” clés : détermination, dépassement de soi, capacité d’adaptation et de rebond sont autant de compétences sur lesquelles les entreprises doivent pouvoir compter, tout particulièrement dans les périodes difficiles.

3) Le management RH de chaque talent doit être individualisé, et a minima trimestriel

Les entreprises interrogées pointent du doigt l’importance d’un management RH de proximité, individualisé, qui renforce l’écoute des doutes exprimés par les talents, et y réponde de manière adaptée. “Le management RH des talents se fait en temps réel : il faut sortir du processus annuel “classique”, nous confie un responsable talents du secteur du luxe ; “c’est la condition pour anticiper autant que possible les risques de départ”.

En plus de les anticiper, il est aujourd’hui capital pour les acteurs RH d’agir sur les causes des départs. Pour cela, ils doivent être en mesure de se situer au plus près des attentes des collaborateurs, variables en fonction de leurs profils (talents émergents ou séniors, profils techniques ou plus transverses, etc.). La crise impacte aussi différemment les collaborateurs clés au sein des organisations. A titre d’exemple, charge et conditions de travail peuvent varier sensiblement d’un talent à un autre : selon son poste, l’organisation de son équipe ou encore son environnement privé. Il est donc primordial pour les organisations de mettre en place un management RH de proximité pour leurs talents. “Nous croyons beaucoup au suivi individuel : nous connaissons très bien l’ensemble des collaborateurs qui font partie du vivier de talents, et ces collaborateurs savent qu’ils sont suivis de près et qu’ils ont une ligne directe avec la DRH Groupe. Ainsi, s’ils expriment certains doutes sur le management, leur mobilité, leur gestion de carrières, etc., nous pouvons agir rapidement.” résume la directrice du développement RH d’un grand groupe agroalimentaire.

4) Seule une Employee Value Proposition (EVP) concrète garantit l’engagement des talents

Bien que les organisations interrogées adressent toutes plus ou moins directement le sujet de l’Employee Value Proposition (notamment via des travaux d’amélioration de leur marque employeur ou de leur expérience employé), le terme “EVP” n’est que très rarement intégré dans leur langage courant. Pourtant, l’EVP est un sujet d’importance capitale aujourd’hui puisqu’il renvoie à ce que l’organisation offre en échange du travail de ses collaborateurs et à la valeur perçue par ces derniers dans leur relation avec leur employeur (sens, responsabilités, développement des compétences, pratiques managériales, ambiance et conditions de travail, opportunités d’évolution et enfin avantages sociaux).

Les secteurs pour lesquels la crise actuelle a précipité l’attrition des talents ont ainsi tout intérêt à travailler leur EVP : c’est le cas par exemple du secteur des énergies fossiles souvent considéré comme trop peu en ligne avec les enjeux environnementaux, ou encore du secteur bancaire qui souffre d’une image conservatrice et capitalistique pouvant entrer en conflit avec les valeurs de certains talents. Parmi les sujets couverts par l’EVP, le sens est donc très certainement aujourd’hui l’un des plus décisifs. Il est crucial pour les organisations de s’interroger sur leur ADN, et de redéfinir leur raison d’être, élément déterminant de la projection des collaborateurs dans l’entreprise.

            L’enjeu principal pour les organisations est de traduire en actions concrètes les valeurs qu’elles revendiquent. Il est urgent qu’elles embarquent leurs talents dans une logique d’entreprise “à mission”, en leur offrant la possibilité de s’épanouir dans des projets professionnels et personnels qui font écho à leurs valeurs. “Nous déployons aujourd’hui un projet d’entreprise responsable vis-à-vis de l’ensemble de ses parties prenantes. Le projet regroupe notamment la définition d’objectifs de développement durable, le développement de partenariats incitant les collaborateurs à s’investir dans des projets associatifs, ou encore des actions concrètes en faveur de l’égalité femmes/hommes. Ce projet fait l’objet d’une communication spécifique.” nous confie la responsable développement RH d’une entreprise du secteur de l’environnement. L’EVP doit donc servir de base à la communication de l’entreprise, mais également et surtout être en phase avec la réalité interne pour convaincre les talents.

5) Le pilotage des actions à destination des talents doit intégrer la mesure de leur ROI

Afin d’évaluer et de réajuster les mesures de rétention des talents mises en oeuvre, les entreprises interrogées s’appuient sur des outils de mesure du Retour sur Investissement (ROI), tels que le taux de rétention des talents, le pourcentage de postes à hautes responsabilités occupés par les hauts potentiels dans les plans de relève, ou encore les signes d’insatisfaction ou de lassitude exprimés au cours d’une talent review.

Cette mesure de l’efficacité des dispositifs de rétention des talents est particulièrement importante dans des périodes difficiles, puisqu’elle permet à la DRH de quantifier la valeur qu’elle apporte au business et à la stratégie de l’entreprise. Nombreux sont les bénéfices relevés par les entreprises interrogées grâce à la mesure de ce ROI :

  • Un meilleur taux de rétention des talents au niveau corporate (87%) dans un grand groupe pharmaceutique ;
  • Un impact positif sur les enjeux de succession pour une entreprise du secteur bancaire : “en 3 ans les postes des Top Executives ont été remplacés à 65% par des collaborateurs issus du vivier de talents” ;
  • Un intérêt décuplé pour la formation pour un acteur de l’environnement : “les équipes RH sont de plus en plus sollicitées par les talents sur le sujet de la formation” ;
  • Une augmentation de la part de talents dans les postes à responsabilités pour un groupe du secteur agroalimentaire : “un tiers des postes des CODIR en France sont aujourd’hui occupés par des personnes issues du vivier de talents”
  • Une augmentation de la part des femmes dans la population de talents : 40% de femmes font désormais partie des Global talents dans une organisation, et une autre constate une plus grande mixité de ses comités de direction en France.

Au-delà de la quantification des bénéfices tirés de ce ROI, les organisations doivent aujourd’hui déployer des indicateurs permettant de mieux comprendre les échecs que peuvent rencontrer leurs initiatives (ex. indicateurs de reconversion : changement de métier ou d’entreprise).

Pour gagner la guerre des talents, les DRH doivent agir au plus vite

La guerre des talents s’est installée dans de nombreux secteurs. C’est un des paradoxes de la période actuelle : même en temps de crise, il faut se battre pour conserver et attirer les talents! Pour y parvenir, pas de concession : chaque entreprise doit mobiliser conjointement et dès maintenant les 5 leviers évoqués.

En découle deux actions. Premièrement, faire évoluer les pratiques en termes de mobilité, de formation, de management RH et d’Employee Value Proposition, pour les aligner avec les nouveaux attendus d’une politique talents efficace dans le contexte actuel. Deuxièmement, renforcer le pilotage du ROI des dispositifs à destination des talents, pour être en capacité de les adapter aux fluctuations de la crise.

Nous sommes convaincus qu’en procédant de la sorte, chaque entreprise se donnera les moyens de préparer l’avenir et de consolider un avantage concurrentiel décisif, pendant et au sortir de la crise.