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Entretien avec Samira Khamlichi

#LeadTheChange #ChooseToChallenge

Samira Khamlichi

Première femme PDG d’une filiale du groupe bancaire Attijariwafa Bank, Madame Samira Khamlichi est à la tête de Wafacash, le premier réseau de transfert d’argent et de services financiers de proximité au Maroc, et ce depuis 2006. Présidente de l’Association Professionnelle des Etablissements de Paiements (APEP), et femme engagée dans la société civile et l’éducation, Madame Khamlichi se caractérise pourtant d’une indéniable humilité. En effet, elle voit en sa nomination au Berkley World Business Analytics Award, qui célèbre les femmes africaines leaders de projets business analytics à impact sociaux et environnementaux, une reconnaissance et une représentation positive pour la femme africaine de façon générale.

 

Si quelqu'un vous décrit comme une femme ambitieuse, qu'est-ce que cela signifie pour vous ? Pensez-vous que l'adjectif « ambitieux » a une connotation différente lorsqu'il s'agit d'hommes ou de femmes ? Comment ?

Être ambitieuse n’est pas une tare. Mais on a souvent tendance à dire d’une femme qu’elle est ambitieuse mais on ne parle pas d’un homme comme étant ambitieux. Il existe bien un biais du genre mais cela ne doit pas nous empêcher de faire preuve d’ambition. Lorsqu’on est « ambitieuse », on doit juste l’assumer. Mais à mon sens, l’ambition est très personnelle et concerne autant notre vie personnelle que professionnelle et donc que l’on soit femme ou homme cela ne change rien, il n’y a pas de différence.

L'équilibre entre vie professionnelle et vie privée est-il plus difficile pour les femmes ?

Ce que j’ai constaté, c’est que les femmes de ma génération ont été très orientées vers la vie professionnelle. La nouvelle génération, elle, cherche un équilibre avec leurs vies personnelles dès le lancement de leurs carrières. Les deux philosophies de vie sont louables car les premières ont été pionnières, et les secondes souhaitent mieux se construire dans la durée, professionnellement et personnellement.

Il est important de noter que le choix du partenaire est déterminant. J’ai personnellement la chance d’avoir un mari avec qui on s’est accompagné mutuellement dans nos parcours professionnels respectifs. Définir et construire une relation avec son conjoint sur certains principes est donc la clé, surtout que nous vivons dans un pays où la famille élargie, généralement les grands-parents, peut s’occuper des enfants en bas âge, et donc contribuer à l’épanouissement professionnel des femmes.

Plus généralement, la forte volonté des femmes de ma génération à travailler vient du fait que c’était plus difficile d’imposer à notre entourage l’idée que le travail a une réelle valeur. On avait souvent tendance à te rappeler que tes réalisations les plus importantes sont avant tout celles d’une épouse et d’une maman. Je reconnais que plusieurs femmes ont ressenti cette pression familiale et plus largement sociale, et ont arrêté le travail à contre-cœur, typiquement après la naissance de leur premier enfant. Dans ce cas, la vie professionnelle est sacrifiée, ou au mieux, retardée, et donc la question de tenir l’équilibre entre la vie personnelle et professionnelle ne se pose même plus. Aujourd’hui, je constate que les couples s’entraident de plus en plus et que les foyers à double revenu deviennent la norme, même si, il convient d’imputer cela aussi à la cherté du coût de la vie. Est-ce que cela entraîne un meilleur équilibre entre les obligations professionnelles et personnelles pour les femmes ? J’aime être optimiste et me dire qu’au moins, cet écart se réduit avec le temps.

Comment les entreprises peuvent-elles attirer les talents féminins ? Quelle est votre position sur la discrimination positive ?

J’ai l’impression que les jeunes marocaines aujourd’hui sont de plus en plus diplômées et ont une volonté ferme de réussir leur vie. Nous le remarquons effectivement dans les recrutements où nous constatons qu’il y a plus de jeunes femmes avec des diplômes et des talents de grande qualité et même mieux loties que les jeunes hommes. La parité lors du recrutement se fait donc de façon naturelle, au mérite.

Maintenant, ce qui m’importe, c’est toutes celles qui s'arrêtent en milieu de parcours professionnel parce que le chemin est difficile et que l’impact social est pressant pour plusieurs raisons. Effectivement, comme mentionné plus tôt, la pression familiale et sociale pousse les femmes à arrêter temporairement ou définitivement leurs carrières. Dans ce cas, la solution n’est pas juste que la discrimination positive car ce n’est pas suffisant vu que le problème est plus général et que ces femmes se retrouvent en dehors du marché de l’emploi dans la durée. Au niveau national, le taux de participation des femmes dans le marché du travail n’est pas bon, il est de l'ordre de 20% alors que la femme représente plus de 50% de la population.

Notre vrai challenge est de contribuer à faire évoluer les mentalités au sein de notre société en élargissant la vision long terme des femmes et en mesurant l’impact du travail des femmes dans notre économie et notamment dans le contexte actuel. Nous savons effectivement que la crise sanitaire que nous vivons depuis plus d’une année a énormément pénalisé l’emploi féminin à travers le monde. Il convient donc d’œuvrer à l’inclusion et à l’encouragement des femmes dans les milieux professionnels.

Quels sont les défis auxquels les entreprises sont confrontées en matière d'égalité des sexes? Comment peuvent-ils avoir un impact concret ?

Dans les métiers de la Finance au Maroc, la problématique se pose pour les postes de direction. On estime que seules 20% des entreprises cotées en bourse comptent au moins une femme dans leurs Conseils d’Administration. Aujourd’hui, l’enjeu est de faire en sorte que les jeunes femmes atteignent ces niveaux de responsabilité, et qu’elles puissent se trouver dans des postes de management où effectivement les entreprises les reconnaissent comme talents.

La prise de conscience se fait au niveau réglementaire mais il y a également beaucoup d’initiatives dans le secteur des services financiers au Maroc. Par exemple, au sein de notre Groupe Attijariwafa bank, notre Président vient de signer la Charte de la Parité et de l'Égalité hommes-femmes qui engage l’ensemble du Groupe, Banque et Filiales, sur des principes de non-discrimination des femmes. Nous avons également créé un réseau de networking et de mentoring au sein du Groupe. C’est une prise de conscience importante et une façon d’accompagner toutes ces jeunes femmes que nous recrutons, et de leur montrer que le plafond de verre est prêt à être cassé. L’enjeu est qu’elles doivent croire en leurs capacités afin de mieux réussir. Et pour cela, nous avons prévu des mesures d’accompagnement pour mettre en avant les femmes leaders du groupe et autres afin qu’elles soient leur rôle modèle et en même temps une source d’encouragement et de motivation. Nous mobilisons également les hommes du groupe à y contribuer. Notre volonté est de leur faire comprendre que si elles souhaitent évoluer, il faut d’abord s’y préparer, et ensuite, oser demander, car c’est comme cela que ça marche. Cela m’amène à insister sur l’importance du networking car dans notre culture, les femmes n’y sont pas encouragées. Notre sociabilisation est différente par rapport à celle des hommes et démarre tardivement. De façon sommaire, dès qu'un petit garçon commence à marcher, on lui offre un ballon. Il est donc très vite poussé et encouragé à aller chercher d’autres personnes avec qui jouer, et donc développe l’importance de l'altérité très vite. Les filles, elles, se créent, souvent seules, un monde imaginaire autour de leurs poupées, et voient donc ce type de socialisation par le jeu arriver plus tard.

Dans le monde professionnel, le networking est là pour créer des précédents afin que les femmes puissent se dire “pourquoi pas moi”. Lorsque les femmes se poseront cette question, nous pourrons avancer. Les femmes d'aujourd'hui doutent encore d’elles-mêmes, et lorsqu’on leur propose une promotion, elles y réfléchissent à deux fois avant de l’accepter, elles se posent des questions sur leur légitimité, leur mérite, leur capacité à être leader, elles pèsent le pour et le contre. Lorsqu’on propose une promotion à un homme, quel que soit son niveau de compétence, il accepte. Nous devons réussir à combler cette différence et à aider les femmes à se débarrasser de ce syndrome de l’imposteur.

Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui aspirent à rejoindre votre industrie ?

Je pense que les femmes dans la finance gagneraient à oser toucher à différents métiers, et à continuellement apprendre en appréhendant différentes problématiques au sein de leur organisation. Il faut éviter de tomber dans une sorte d’inertie. Dans ma vie professionnelle, j’ai eu de la chance de faire plusieurs métiers. Dans un sens, aimer ce que l’on fait c’est être curieuse d’apprendre et de toucher à plusieurs métiers. Il faut oser le changement, le challenge et réfléchir « out-of-the-box ».

Le conseil qui me paraît clé est qu’elles doivent croire en elles et en leurs capacités, et d’accepter d’être challengées. Dans notre métier, l’Humain est au cœur de tout et plus nous digitalisons et plus on se recentre sur l’humain. Grâce aux qualités indéniables qu’elles ont, les femmes ont donc toutes les chances pour réussir et métamorphoser les choses.