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Quand la grande distribution investit les aéroports

Si les marques de luxe se sont implantées depuis longtemps dans l’univers des aéroports, d’abord via les «duty free» puis en y installant plus largement des boutiques en propre, un phénomène plus récent est à observer : la conquête des espaces aéroportuaires par les enseignes de grande distribution.

Si les marques de luxe se sont implantées depuis longtemps dans l’univers des aéroports, d’abord via les « duty free » puis en y installant plus largement des boutiques en propre, un phénomène plus récent est à observer : la conquête probable des espaces aéroportuaires par les enseignes de grande distribution. Après avoir investi les surfaces commerciales des gares, certains des leaders mondiaux du secteur commencent à envisager les aéroports comme un potentiel relai de croissance. Ainsi, l’anglais Tesco a ouvert le premier supermarché dans un aéroport du Royaume-Uni à Glasgow en 2010. Le groupe Carrefour quant à lui, après deux Carrefour Express dans les aéroports de Bologne et Milan, a déployé sa première enseigne à l’aéroport d’Orly en novembre 2015. Monoprix s’apprête à faire de même dans le nouveau terminal de l’Aéroport Saint Exupéry de Lyon. Cet article étudie dans un premier temps le contexte dans lequel survient ce nouveau paradigme, ainsi que les enjeux qu’il représente à la fois pour les distributeurs et pour les aéroports. Nous verrons ensuite que pour se pérenniser, l’implantation des enseignes de grande distribution dans les aéroports va requérir des transformations importantes en termes de business model pour ces entreprises.

Un contexte propice à la recherche de nouveaux relais de croissance pour les acteurs historiques de la grande distribution

Depuis 2008, le secteur de la grande distribution vit une situation inédite en France depuis la fin de la seconde guerre mondiale : la consommation est globalement stable. En effet, sans qu’il s’agisse d’une baisse à proprement parler, les Français ne consomment plus systématiquement davantage d’une année sur l’autre. Dans le même temps, les surfaces commerciales disponibles pour les clients continuent de croître. Selon Nielsen, en septembre 2015, le nombre de mètres carrés occupés par les hypermarchés et supermarchés avait encore progressé de 1.3% sur un an, à travers l’ouverture de nouveaux points de vente et l’agrandissement d’anciens. Consommation stable, offre commerciale qui progresse : on reconnait bien là les signes d’un climat commercial tendu pour la grande distribution. Sans s’arrêter sur la fuite du chiffre d’affaires online, on comprend plus facilement pourquoi les grands distributeurs se sont tous lancés sans exception dans une guerre des prix sans merci. Le gain de parts de marché sur la concurrence étant devenu le principal levier de croissance, rien de plus efficace que de jouer sur la sensibilité au prix des consommateurs.

Dans ce contexte peu propice pour les grandes enseignes de distribution, envisager de nouveaux relais de croissance devient essentiel. C’est ainsi que nombre de distributeurs commencent à se tourner vers le secteur en plein essor du commerce de transit ou travel retail, véritable gisement de croissance. Le travel retail représentait ainsi en 2014 un marché mondial de plus de 60 milliards d’euros, à la croissance annuelle moyenne de +10% depuis 2002. Un dynamisme hors pair qui lui vaut le surnom de « sixième continent » [1].

Le travel retail : un secteur qui présente de nombreux intérêts pour les distributeurs

Un canal de vente privilégié

Tout d’abord, le poids croissant pris par l’e-commerce dans la consommation ces dernières années (environ 65 milliards d’euros l’an dernier en France [2]) a poussé les chaînes de supermarchés et les marques en général à revoir profondément leur stratégie d’approche des clients. Presque toutes ont mis en œuvre des stratégies dites « omnicanales », c’est-à-dire qui multiplient les points de contact avec le client de sorte à capter son attention au maximum, quel que soit le canal employé : internet, blogs, magasins physiques, etc. A l’heure où le consommateur accepte de moins en moins de se déplacer dans des magasins avec toutes les contraintes physiques que cela induit, les distributeurs doivent rechercher de nouveaux moyens de capter l’attention de leur clientèle. Via le canal internet, les enseignes se déplacent chez le consommateur.

S’implanter dans les gares ou les aéroports est un autre moyen privilégié pour les distributeurs d’aller à la rencontre de leurs clients, et de capter l’attention des consommateurs à un moment où ils sont particulièrement réceptifs, puisque géographiquement « bloqués » dans un terminal pendant un temps d’attente qui peut s’avérer assez long. On estime ainsi que 94% des passagers d’un aéroport entrent au moins dans une boutique [3] !

Une clientèle particulièrement réceptive

Le travel retail présente également l’avantage de s’adresser à une cible de clientèle plutôt aisée notamment dans le domaine aéroportuaire. En effet, les enseignes s’adressent ici à des clients qui ont au minimum les moyens de prendre l’avion et qui possèdent donc une sensibilité aux prix inférieure à la moyenne nationale, ce qui permet naturellement d’améliorer chiffre d’affaires et marge. Enfin, la population qui fréquente les aéroports connait une croissance constante depuis plusieurs années, ce qui permet d’anticiper une croissance du flux de visiteurs potentiels dans les magasins, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Un terrain de jeux idéal pour tester des innovations

Enfin, pour les distributeurs, les aéroports représentent un terrain de jeu privilégié pour tester de nouveaux concepts de distribution sur une clientèle plutôt technophile et disponible. Ainsi, à l’été 2012, le groupe britannique Tesco a testé le shopping virtuel à l’aéroport de Gatwick pour permettre aux voyageurs de faire leurs courses sur des écrans en attendant leur avion, et de se les faire livrer en rentrant de voyage, jusqu’à trois semaines plus tard. Si le concept de supermarché virtuel n’a pas vraiment pris, et reste pour l’instant limité à quelques opérations ponctuelles de communication, l’aéroport domestique londonien s’est révélé pour Tesco le terrain d’expérimentation idéal de son concept.

De manière générale, l’utilisation des données « voyageurs » récupérées par les aéroports peut permettre le développement d’innovations de merchandising. L’aéroport international de Shanghai Hongqiao vient par exemple de signer un partenariat avec la start-up française OORACE, afin d’équiper son application mobile d’un système de recommandation fonctionnant avec les beacons. La technologie vient équiper l’application mobile « Airport in Pocket » qui permet d’accompagner le voyageur lors de la réservation du billet d’avion, mais aussi pendant ses déplacements dans l’aéroport. OORACE est capable, grâce à ces balises bluetooth qui activent le contenu d’une application, d’envoyer des recommandations et messages personnalisés par pushs.

Les enjeux pour les aéroports

Comme nous l’avons vu, le travel retail semble bien s’insérer dans la stratégie des distributeurs. Son développement croissant est également dû au fait que les plateformes aéroportuaires y trouvent leur intérêt. En effet, dans ce type d’implantations, les aéroports se rémunèrent en prélevant une commission sur l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé par les enseignes. Ce modèle, qui se pratique déjà largement dans les gares, est bien « gagnant – gagnant » pour les deux parties qui ont chacune tout intérêt à proposer une offre qui attire un maximum de clients. A titre d’exemple, les revenus des commerces et services représentaient 31,5% du chiffre d’affaires d’Aéroports de Paris en 2015 [4].

S’il est vrai que la clientèle qui fréquente les aéroports est relativement plus aisée que la moyenne, on assiste aussi avec l’avènement du tourisme low cost à une démocratisation significative du transport aérien qui pénètre une base de clients de plus en plus large ces dernières années. Or, en ne proposant que des enseignes de luxe, les plateformes aéroportuaires n’atteignent pas ou peu toute une partie des passagers qui y transitent chaque jour, et qui sont plutôt enclins à dépenser pour des produits moins chers. C’est ainsi qu’Orly Ouest a ouvert fin 2015 la première boutique Mango dans un aéroport français, renforçant sa volonté de proposer une offre commerciale plus accessible également dans le secteur du prêt-à-porter. L’arrivée d’enseignes de grande distribution dans les aéroports s’inscrit donc très nettement dans la stratégie des aéroports visant à augmenter l’assiette de leurs consommateurs, mais elle représente aussi pour eux un véritable défi d’adaptation aux nouveaux usages de cette clientèle afin d’en tirer profit au maximum. 

Vers la mise en place de nouveaux usages ?

Cohérente en termes de stratégie, justifiée en termes de perspectives commerciales, l’installation des enseignes de grandes distributions dans les plateformes aéroportuaires devrait s’accroître au fil des années. Néanmoins, l’installation dans un aéroport est différente d’une installation dans une surface commerciale urbaine, et la conquête des aéroports par les distributeurs devra s’accompagner de plusieurs adaptations de leur modèle économique.

Pour commencer, ce sont évidemment les formats « corners » ou de proximité, pour des raisons spatiales évidentes, qui vont se développer sur ce segment, comme en attestent les exemples de Tesco et de Carrefour, ou encore de 7 Eleven, qui installent dans les aéroports leurs formats superette. Le Carrefour City ouvert à Orly en 2015 couvre ainsi une surface de 170m² proposant 3 000 références seulement. Une autre option est celle du click-and-collect ou web-to-store permettant aux clients, sur le modèle du drive, de récupérer leurs courses à leur retour de voyage. En 2013, le groupe Ahold a ainsi ouvert une épicerie Albert Heijn sous forme de point de collecte drive à l’aéroport d’Amsterdam, à destination des voyageurs bien sûr, mais aussi des 64 000 employés de l’aéroport qui peuvent venir y chercher leurs achats avant de rentrer chez eux.

Par ailleurs, ouvrir un point de vente dans un aéroport implique de couvrir une plage horaire d’ouverture plus large qu’en ville (6h – 22h pour le Carrefour City d’Orly, 6h30 – 00h pour le Albert Heijn d’Amsterdam).

Les adaptations des enseignes pour conquérir les plateformes aéroportuaires devront également toucher leur offre, en privilégiant un packaging plus individuel (yaourts à l’unité, pain frais, etc.), et en proposant des produits spécifiques au voyage (chargeur, adaptateur, bagages…) ou à la destination (souvenirs, épicerie fine).

Les aéroports eux aussi vont devoir s’adapter à ce nouveau paradigme, s’ils veulent véritablement bousculer le modèle du travel retail traditionnel, essentiellement basé sur les boutiques de luxe. L’ambition est en tout cas affichée du côté d’Aéroports de Paris dont le PDG, Augustin de Romanet a affirmé lors de l’inauguration du Carrefour City d’Orly le 3 novembre 2015: « nous sommes au début d’un nouveau métier, la ville aéroportuaire ».

[1] Source : Quand le travel retail prend son envol, LSA Conso, 25 février 2015

[2] Source : FEVAD (Fédération du E-commerce et de la Vente A Distance), Chiffres Clés 2016

[3] Source : Le « travel retail », nouveau laboratoire des marques, Les Echos, 27 novembre 2014

[4] Source : Aéroports de Paris – Rapport Annuel 2015