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L'émergence de l'ère digitale : la mort de l'entretien annuel d'évaluation ?

Inhérente aux relations contractuelles qui lient un salarié et un employeur, l'évaluation des salariés ou « appréciation individuelle » s'est progressivement installée comme un processus formalisé et outillé de la Gestion des Ressources Humaines (GRH).

L'émergence de la culture du numérique modifie les comportements, les méthodes de travail et vient impacter en conséquence la performance attendue des collaborateurs et donc les modalités et méthodes du processus d'évaluation. L'entreprise doit désormais s'organiser pour répondre aux nouvelles exigences du monde numérique, challenger son organisation, ses processus et définir les ressources et compétences nécessaires pour faire face à cette transformation. Dans ce nouveau contexte, comment intégrer cette dimension digitale dans la gestion et l'évaluation des talents de l'entreprise ? L'entretien annuel « classique » est-il toujours l'outil le mieux adapté à l'évaluation objective et systématique de la performance ?

Un rendez vous annuel : une fréquence inadaptée à l'activité évaluée

Dans sa formule classique, l'entretien d'évaluation consiste en une rencontre en tête à tête avec son responsable hiérarchique pour qu'il évalue le travail accompli sur une période donnée (souvent l'année écoulée), à l'aide de méthodes et techniques cadrées et formalisées. Sont ainsi jugés la « performance » du collaborateur, l'atteinte de ses objectifs, ses compétences ou encore son potentiel. Cette modalité est peut être aujourd'hui désuète : au moment de l'évaluation, le manager n'a en mémoire qu'une sélection d'éléments sur le travail réalisé par le collaborateur et les échanges ne reflèteront pas la performance du salarié dans sa globalité. Le résultat de cette évaluation n'est pas toujours une note moyenne représentative de l'année écoulée mais s'apparente parfois plus à une note instantanée, reflet des derniers travaux effectués par le collaborateur et dont le manager aurait connaissance et/ou le souvenir.

Pour faire face à l'évolution des modes de fonctionnement et aux nouveaux besoins en compétences liés à la digitalisation de l'entreprise, ne faudrait-il pas challenger le processus d'évaluation actuel ? Elargir le périmètre des contributeurs de ces évaluations par exemple, augmenter la fréquence des retours/évaluations sur le travail du salarié ou encore évaluer la présence du collaborateur sur les médias sociaux pour révolutionner cette pratique RH dépassée ? Ainsi on pourrait envisager la mise en place d'un système d'évaluation plus dynamique et plus souple basé sur le « social feedback » : un point mensuel, ou à la fin de chaque projet, sur la performance du collaborateur. Cette évaluation se ferait plutôt en mode échange/coaching afin d'ajuster la trajectoire en cours de route au lieu d'attendre 1 année complète pour faire le point sur le travail de « l'évalué ». On peut aussi imaginer de faire évaluer les compétences du collaborateur par plusieurs sources, telles que ses subalternes ou ses pairs, ce qui permettrait de comparer l'évaluation du supérieur hiérarchique à celle de son entourage. La société Ikea a mis en place cette démarche pour l'ensemble de ses cadres opérationnels. Cette technique leur a permis de favoriser l'équité de traitement entre les collaborateurs et de réduire les biais ou les phénomènes de discrimination.

Une rencontre en face-à face : un échange utile mais parfois insuffisant

En complément de l'entretien en face à face entre l'évaluateur et l'évalué, des évaluations intermédiaires pourraient être faites via des formulaires informatisés, rapides à saisir et accessibles à tout moment par le salarié dans son dossier RH au sein d'un portail dédié. Cette formalisation et cette automatisation, rendues possibles par les outils SIRH, permettraient de collecter des feedbacks qualitatifs sur le collaborateur en amont de l'entretien annuel et viendraient enrichir les échanges le jour J. Dans les entreprises où se développe une culture de « Employee Self Service », où certaines activités de gestion administrative sont prises en charge par les collaborateurs eux-mêmes, le collaborateur pourrait demander lui-même à ses collègues de remplir la fiche d'évaluation le concernant. Certains cabinets de conseil ont mis en place de telles pratiques car les responsables hiérarchiques ne travaillent pas forcément au quotidien avec le collaborateur. A l'issu de chaque mission le consultant demande donc à son responsable Projet, ses collègues sur la mission, voire son client, un retour qualitatif sur son travail au cours de la période écoulée. Ainsi la performance du collaborateur peut être « mesurée » sur toute l'année et sur l'ensemble des projets réalisés en recoupant l'avis des différents intervenants.

Enfin, l'utilisation d'outils SIRH permettrait aussi de redescendre dans les systèmes de GRH les informations nécessaires à la prise de décisions en matière de rémunération, formation, mobilité et gestion des carrières.

D'autres méthodes peuvent aussi être envisagées pour évaluer un collaborateur : des tests, une démarche d'Assessment center / centre d'évaluation ou encore un bilan comportemental. Elles reposent sur l'observation des comportements lors de mises en situation et combinent différentes techniques : simulations individuelles, collectives (test in basket, études de cas, problématiques de groupe,...), tests psychologiques... Cette évaluation est alors réalisée dans un lieu dédié, par des personnes compétentes et formées à ces pratiques, ce qui permet d'objectiver la performance d'un collaborateur et de comparer leurs résultats sur des critères communs.

Des grilles d'évaluation dépassées : un frein à l'identification des nouvelles compétences indispensables à l'entreprise à l'ère du numérique

De même avec l'évolution des outils et l'essor des médias sociaux, de nouveaux métiers font leur apparition et avec eux de nouvelles compétences. L'animation de communautés permet par exemple de faire émerger de nouveaux leaders. Comment ces compétences liées à la Transformation numérique sont elles valorisées dans la performance des collaborateurs ? Ne faudrait-il pas faire évoluer le référentiel des compétences et les fiches d'évaluation en conséquence ?

Le choix des critères d'évaluation est délicat et ceux-ci dépendent fortement du type de management mis en place dans l'organisation. L'entreprise et ses priorités évoluent aujourd'hui souvent plus vite que les objectifs annuels qui peuvent être fixés lors des entretiens. Cette grille d'évaluation doit donc être mise à jour régulièrement pour s'assurer de l'adéquation entre les besoins et les ressources de l'entreprise et s'adapter aux transformations en cours.

Enfin le processus d'évaluation doit être au coeur du système de GRH et doit interagir avec l'ensemble des autres processus RH : comment redescendre les informations de l'entretien pour qu'elles deviennent des inputs des Comités carrière et impactent directement la rémunération / promotion ? Quel lien faire avec la politique de mobilité ? Quelle déclinaison sur le plan de formation ? .... De ce fait, pour faciliter les interactions avec les autres composantes RH, il semble désormais nécessaire de challenger le simple entretien annuel en face à face, conclu par un papier échangé entre l'évaluateur et l'évalué. Celui-ci s'apparente en effet plus à un outil supplémentaire de management de proximité qu'à un réel outil d'évaluation de la performance des ressources de l'entreprise.

La fonction RH est de plus en plus attendue sur sa contribution à la performance globale de l'entreprise. Notamment sur des actions en faveur d'un meilleur pilotage de la masse salariale en réponse aux contraintes économiques et budgétaires et sur une gestion des talents recentrée sur l'interne afin d'exploiter le vivier de ressources en améliorant la politique de mobilité interne. Il est peut être temps pour les DRH de se pencher sur la modernisation, l'harmonisation des pratiques et l'automatisation de ce système d'appréciation individuelle. A l'heure où de nombreuses entreprises développent des solutions innovantes et où la technologie facilite leur mise en place ... pourquoi ne pas choisir la performance pour évaluer celle de vos collaborateurs ?