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Le chèque énergie : quel bilan et quelles pistes d’amélioration?

Alors que les ménages ont jusqu’au 31 mars pour faire usage de leurs chèques énergie 2019 et que les modalités de la campagne 2020 devraient bientôt être annoncées, Sia Partners propose de faire le point sur le chèque énergie.

Généralisé en 2018 à l’ensemble du territoire, le chèque énergie a pris le relais des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz dans la lutte contre la précarité énergétique, qui touche les ménages qui consacrent au moins 10% de leur budget à leur facture d'énergie. Le chèque énergie se veut plus juste, plus progressif et plus incitatif. Il permet aux ménages en situation de précarité de recevoir un chèque leur permettant de régler une partie de leur facture énergétique.

Près de deux ans après sa généralisation, quel bilan et quelles pistes d’amélioration pour le chèque énergie ?

Le chèque énergie se veut plus juste et fonctionnel que les tarifs sociaux de l’énergie qu’il remplace

Le chèque énergie présente plusieurs avantages par rapport aux tarifs sociaux de l’énergie qu’il remplace :

Premièrement, alors que les tarifs sociaux[i] ne permettaient aux ménages précaires de bénéficier de tarifs réduits que sur leur consommation d’électricité et de gaz, le chèque énergie est utilisable pour toute source d’énergie à domicile. Il peut ainsi être utilisé pour l’achat de fioul ou de bois de chauffage. En étant valable pour l’ensemble des sources d’énergie, le chèque énergie a pour objectif de couvrir davantage de consommateurs précaires, et constituer une politique plus juste.

Par ailleurs, le chèque énergie est doté d’un montant progressif selon la situation économique des receveurs. En 2019 par exemple, le chèque pouvait présenter un montant allant de 48€ à 277€ selon les revenus du foyer. Il diffère en cela des tarifs sociaux de l’énergie, qui n’étaient pas progressifs. Il vise donc à répondre au plus près aux besoins des ménages.

Enfin, la mise en place du chèque énergie vise à lutter contre le phénomène de non recours. Alors que les tarifs sociaux de l’énergie reposaient sur des critères d’éligibilité parfois complexes[ii], nécessitant le croisement de différents fichiers, l’attribution du chèque énergie repose uniquement sur un critère de revenu via la déclaration annuelle de l’impôt sur les revenus. Cela doit permettre d’identifier plus facilement les bénéficiaires potentiels et rendre ainsi l’aide effective.

Le chèque énergie a globalement fait ses preuves, même s’il n’a pas encore atteint l’ensemble de ses objectifs

Le chèque énergie a été expérimenté en 2016 et 2017 dans quatre départements[iii] avant d’être généralisé en 2018. Il est possible de tirer un premier bilan de ce dispositif.

Les premiers résultats de la mise en place du chèque énergie sont positifs. Ils témoignent notamment d’une hausse du montant de l’aide touchée par les ménages les plus modestes (sauf pour les ménages se chauffant au gaz, qui bénéficiaient du cumul des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz). Le montant moyen de l’aide a globalement progressé, passant de 114€ en 2016 avec les tarifs sociaux à 200€ en 2019 avec le chèque énergie. Le nombre de bénéficiaire est également en croissance (cf illustration ci-dessous). Il s’établit en 2019 à 5,8 millions de ménages aidés, sur un total de 7 millions de ménages touchés par la précarité énergétique selon l’ONPE (Observatoire National de la Précarité Énergétique)[iv].

Le chèque énergie n’a en revanche pas rempli entièrement son objectif en termes de taux de non-recours. Celui-ci reste non-négligeable, même s’il est plus faible que celui d’approximativement 30%[v] qui existait avec les tarifs sociaux de l’énergie[vi]. Estimé à environ 20% lors de la phase d’expérimentation, le taux de non-utilisation des chèques est resté à ce niveau lors de sa généralisation en 2018, alors que les pouvoirs publics avaient anticipé une amélioration[vii]. Les causes de ce non-recours sont multiples (non-réception ou perte du chèque, oubli, incompréhension du dispositif, perte ou refus par le fournisseur…). La réduction du taux de non-utilisation constitue donc un axe d’amélioration important du dispositif pour atteindre l’objectif de 95% d’utilisation effective fixé par la loi de finances[viii].

On peut s’attendre à ce que les bénéficiaires s’approprient progressivement le chèque énergie, qui a bénéficié d’une forte mise en avant politique, notamment pendant le mouvement des gilets jaunes, et a été revalorisé de 50€ et étendu à 2,2 millions de foyers supplémentaires pour la campagne 2019[ix].

Quelles pistes d’amélioration pour rendre le chèque énergie plus efficient et plus vert ?

Globalement salué comme une politique agile et vertueuse, le chèque énergie n’en présente pas moins des pistes d’amélioration :

Afin de réduire les coûts de gestion et de faciliter l’utilisation des chèques, il conviendrait d’encourager les modes d’utilisation dématérialisés. Deux modalités d’utilisation le permettent actuellement. La pré-affectation permet de déduire automatiquement, tous les ans, le montant du chèque énergie de sa facture auprès d’un fournisseur d’énergie. L’utilisation en ligne du chèque permet pour sa part de limiter les coûts de gestion ainsi que les risques de perte ou de refus. Vertueux, ces deux modes d’utilisation pourraient être davantage mis en avant et encouragés.

Si le chèque énergie a remplacé les tarifs sociaux de l’énergie, le législateur a choisi de préserver certains avantages qui y étaient associés. En raison de leur situation, les bénéficiaires du chèque ont toujours le droit à des réductions de frais, notamment en cas d’impayés ou de rejet de paiement. Cependant, si l’envoi du chèque à un fournisseur permet automatiquement de bénéficier de ces garanties auprès de celui-ci, il est nécessaire pour les bénéficiaires d’envoyer également une attestation de droits à ses autres fournisseurs d’énergie pour en bénéficier également auprès d’eux. Selon les premières évaluations, cette procédure de signalement complexe conduit à un non-recours important à ces garanties[x]. Il semble donc souhaitable de réfléchir à améliorer cette procédure, ou à défaut de plus communiquer sur ces droits connexes.

La contribution du chèque énergie à la politique environnementale pourrait être renforcée, en synergie avec son objectif social. Une des sources majeures de la précarité énergétique réside en effet dans la qualité de l’isolation du logement. Le chèque énergie permet déjà de lutter contre les « passoires énergétiques », puisqu’il peut être cumulé par un ménage sur trois ans pour financer des travaux de rénovation énergétique[xi]. Reste que l’appropriation de cette mesure est très modeste, avec moins de 0,05% des chèques utilisés à cet effet lors de l’expérimentation[xii]. Il parait donc souhaitable de davantage communiquer sur cette utilisation du chèque énergie, en mettant notamment l’accent sur la complémentarité avec les aides au titre du crédit d’impôt transition énergétique (CITE), nouvellement « MaPrimeRénov’ », qui permettent également de financer ce type de travaux.

Se pose enfin la question de l’équité géographique. La facture moyenne d’énergie, notamment pour se chauffer, est assez irrégulière sur le territoire (cf. illustration ci-dessous). Sur la base de ce constat, on peut se questionner sur l’opportunité de prendre en compte ce facteur dans le montant du chèque énergie attribué. Cet exemple illustre bien la difficulté de faire un choix entre un dispositif simple et homogène d’une part et un dispositif plus individualisé mais donc moins lisible d’autre part.

Quoi qu’il en soit, il apparaît que le chèque énergie constitue déjà un progrès important dans l’équité de l’aide qu’il propose aux ménages en situation de précarité énergétique. Aujourd’hui, les principaux défis de ce dispositif résident d’une part dans son appropriation par les acteurs, et d’autre part dans son articulation avec d’autres dispositifs tels que les instruments de soutien à la rénovation énergétique des logements. En luttant davantage contre les « passoires énergétiques », le chèque énergie pourrait en effet contribuer à résoudre des situations de précarité énergétique en s’attaquant à une de leur cause.

 

Une analyse de Pierre Bonnefoy

 

 

Notes & Références: 

 

[i] Tarif de première nécessité (TPN) pour l’électricité, et Tarif spécial de solidarité (TSS) pour le gaz

[ii] Eligibilité à la CMUC ou à l’ACS, qui présentent des taux de non-recours de 30% et 60%, ou revenu annuel de référence par part fiscale inférieur à  2 175 € (source : Rapport d’évaluation de l’expérimentation du chèque énergie, MTES, 2017)

[iii] Ardèche, Aveyron, Côtes-d’Armor, Pas-de-Calais

[iv] Tableau de bord de la précarité énergétique, Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 2019

[v] A l’issue de l’automatisation de l’attribution des tarifs sociaux et de l’ajout d’un critère de revenu (loi Brottes, 2013), le taux de non-recours est estimé à environ 30% (source : Rapport d’audit sur les tarifs sociaux de l’énergie, ADEME, 2013)

[vi] Rapport d’évaluation de l’expérimentation du chèque énergie, MTES, 2017

[vii] Note d’analyse de l’exécution budgétaire : mission Ecologie, développement et mobilité durables, Cour des Comptes, 2018

[viii] PLF 2019, Programme annuel de performance du programme 135 : Ecologie, développement et mobilités durables

[ix] Arrêté du 26 décembre 2018 modifiant le plafond et la valeur faciale du chèque énergie

[x] Signalement deux fois moins important pour les clients d’EDF en 2016 dans les départements de l’expérimentation par rapport à 2015 (source : Rapport d’évaluation de l’expérimentation du chèque énergie, MTES, 2017, op. cit.)

[xi] Sous réserve d’être convertis chaque année en « chèques travaux »

[xii] Rapport d’évaluation de l’expérimentation du chèque énergie, MTES, 2017, op. cit.