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La micro-méthanisation: décryptage d'une nouvelle tendance

Quel rôle joue aujourd’hui la micro-méthanisation au sein de la filière ? Quel rôle jouera-t-elle demain ? La réduction de la taille des unités, jusqu’à l’échelle domestique, est-elle prometteuse ? Décryptage.

En 2013, le Ministère de l’Agriculture avait lancé l’ambitieux plan « Energie Méthanisation Autonomie Azote » (EMAA) qui fixait l’objectif symbolique de 1 000 méthaniseurs à la ferme en 2020, porté par un arsenal d’outils de financement et de simplification des démarches. Quel rôle joue aujourd’hui la micro-méthanisation au sein de la filière ? Quel rôle jouera-t-elle demain ? La réduction de la taille des unités, jusqu’à l’échelle domestique, est-elle prometteuse ?

Décryptage.

La micro-méthanisation reste en 2017 un marché de niche de la filière

Le terme « micro-méthanisation » englobe l’ensemble des installations de très petite taille, c’est-à-dire ayant une puissance électrique installée de quelques dizaines de kW[1] au maximum. Le plan EMAA convenait en 2013 de « ne pas déterminer a priori la taille des installations [de méthanisation] et adopter une approche ouverte dans la phase de déploiement de la filière ». Malgré cet agnosticisme affiché par l’Etat et des conditions de rachat de l’électricité adaptées à la taille de chaque unité[2], les installations de plusieurs centaines de kW et alimentées par plusieurs sources d’intrants[3] sont les seules à s’être fortement développées. En effet, les économies d’échelle engendrées permettent de réduire la part relative des coûts d’investissement et de « rentabiliser » le temps consacré aux démarches administratives, encore longues et complexes pour les développeurs de projets.

Aujourd’hui, la filière méthanisation compte 120 MW installés sur plus de 500 unités (dont 300 à la ferme)[4]. Mais la part des micro-méthaniseurs reste faible : seule filière vraiment concernée, la filière agricole compte moins de 19% de micro-méthaniseurs parmi les unités de cogénération, et 16 unités seulement possèdent une puissance installée strictement inférieure à 50 MW. La plupart des installations agricoles sont soit centralisées dans une zone riche en intrants (unités de plus de 500 kW), soit concentrées sur les exploitations agricoles de grande taille (majoritairement des unités d’environ 200 kW).

Comment expliquer que le secteur agricole soit celui dans lequel la micro-méthanisation se développe le plus ? Tout d’abord parce qu’il existe une demande pour des unités de micro-méthanisation dont la taille est adaptée à des élevages qui comptent en moyenne quelques centaines de têtes. De plus, la tendance de développement de circuits courts de production/consommation d’énergie sur la même zone est totalement en phase avec la micro-méthanisation : par exemple, tous les principaux constructeurs de tracteurs agricoles (New Holland, Steyr, Deutz, etc.) créent ou étoffent actuellement leur gamme de tracteurs fonctionnant au biométhane. Ensuite parce que plusieurs acteurs ont répondu à la demande sur ce segment en proposant des méthaniseurs de cette dimension aux éleveurs. Autre signe récent, la revalorisation en décembre 2016 de la prime accordée dans les tarifs de rachat pour l’utilisation des effluents d’élevage comme intrant[5] sonne également comme une nouvelle encourageante pour les petites unités agricoles dans les années à venir.

Peu de leaders du marché se sont positionnés sur le segment de la micro-méthanisation

Si les unités de micro-méthanisation ne présentent pas en elles-mêmes de défi technologique majeur, c’est leur rentabilité qui a pendant longtemps posé problème. Pour les développeurs de projets, ce segment nécessite de standardiser son offre, contrairement aux unités importantes construites quasi sur mesure. L’enjeu réside dans la réduction drastique des coûts de fabrication par la rationalisation et l’industrialisation de la production d’unités, par exemple en construisant des unités préassemblées et simples d’utilisation pour les éleveurs. A ces défis s’ajoute la recherche de financements, véritable parcours du combattant pour de nombreuses installations. Malgré ces difficultés, la tendance semble aujourd’hui positive, avec des temps de retour d’investissement bien inférieurs à 10 ans annoncés par certains acteurs de la filière.

Les leaders français de la méthanisation agricole (Fonroche, Agrikomp, Naskeo[6], etc.) boudent pour la plupart le segment pour se concentrer sur les projets de plus forte puissance. Ainsi, hormis quelques leaders qui dépassent la dizaine de projets opérationnels ou en cours (bio4gas, Aria Innovent, Bioelectric), le marché est éclaté entre de nombreuses PME pour la plupart françaises. Seule une poignée d’acteurs comme Erigène, Aria Innovent ou Biolectric est exclusivement positionnée sur la micro-méthanisation, les autres développeurs de projets conservant un périmètre plus large pour s’assurer un plus grand nombre de projets. Autre point important, la micro-méthanisation coïncide chez beaucoup d’acteurs avec le développement de technologies innovantes de méthanisation en « voie sèche » permettant l’incorporation de plus de 15% de matière solide dans le digesteur, donc par exemple de fumier en plus du lisier, très adapté pour de nombreux éleveurs français (par opposition à la méthanisation par « voie humide »).

La méthanisation domestique restera embryonnaire à court terme

Et si l’on descend encore d’un niveau, à l’échelle d’un restaurant voire d’un particulier ? Ce type d’installation reste rare en Europe, contrairement à de nombreuses régions du monde. La méthanisation domestique s’est naturellement développée dans des zones dépourvues d’accès fiables à l’énergie. En Chine par exemple, plus de 40 millions de foyers bénéficient de méthaniseurs domestiques leur fournissant du biogaz pour se chauffer, cuisiner ou s’éclairer. Les digesteurs peuvent être directement achetés dans certains points de vente physique ou sur Alibaba[7] pour quelques centaines d’euros. Cet essor, entamé depuis plusieurs dizaines d’années en Chine et permis par une réglementation moins stricte, ne devrait pas compromettre le développement de la filière française à court terme.

En France comme en Europe, quelques start-ups ou PME développent une offre sur la « petite micro-méthanisation » et la méthanisation domestique (Tryon, SCTD Industries, BioBeeBox en France, SEAB Energy, Qube Renewables au Royaume-Uni) mais avec un impact encore marginal. Si un français produit en moyenne 150 kg de déchets organiques par an[8], la tendance est davantage à la collecte en amont de ces déchets verts et leur valorisation sur des installations industrielles de méthanisation ou de compost. C’est justement pour « en finir avec la collecte longue distance »[9] que Jimmy Colomies a créé Tryon et sa solution modulaire – le Tricube, il y a quelques mois.

 

Aujourd’hui, la mise en place d’un méthaniseur individuel demande une surface exploitable en extérieur de quelques mètres carrés, des équipements domestiques adaptés à la combustion de biogaz et des moyens financiers conséquents. Le « M-300 Methatec » développé par SCTD Industries revient par exemple à plus de 20 000 €[10] malgré une TVA réduite à 5,5% et une éligibilité au crédit d’impôt. Mais les obstacles à surmonter pour un réel lancement de la filière française restent surtout des enjeux réglementaires et d’acceptabilité locale. Par exemple toute installation de méthanisation – aussi petite soit-elle – est aujourd’hui soumise à la réglementation ICPE[11], sans aucune différence avec une unité industrielle. Enfin l’ensemble des filières de méthanisation souffre encore d’un déficit d’acceptation auprès du grand public, visible à travers les multiples contestations locales à chaque annonce de nouveau projet.


[1] Nous considérerons dans cet article comme installation de micro-méthanisation, les installations avec une puissance installée de moins de 80 kW.

[2] Plus l’installation est réduite, plus les conditions de rachat sont avantageuses

[3] L’intrant est la matière première organique apportée au méthaniseur, qui, par sa dégradation, permettra la formation de biogaz

[4] D’après SINOE, hors gaz de décharges et hors production de biométhane

[5] Bonus de 50 €/MWh si utilisation d’au moins 60% d’effluents comme intrants

[6] En dehors de sa filiale Methajade

[7] Equivalent à Amazon en Chine

[8] D’après chiffres-clés déchets de l’ADEME

[9] Entretien publié le 14/09/17 sur le blog Energie de Sia Partners

[10] Méthaniseur domestique couplé avec des panneaux photovoltaïques

[11] Régime de déclaration pour les installations domestiques