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Interview de Julien Duquenne sur les opportunités de développement de la Gestion Privée

Julien DUQUENNE, ancien Directeur Développement d’AXA Gestion Privée au moment de son lancement, créateur de MAIF Solutions Financières et récemment DG d’OFI Gestion Privée interviewé par Sia Partners

Comment définiriez-vous le paysage de la Gestion Privée en France aujourd’hui ?

En parlant Gestion Privée, certains ont tendance à penser seulement aux quelques Banques Privées prestigieuses positionnées sur la clientèle ayant plus d’1 million d’avoirs financiers. Ce prisme peut donner une fausse image du marché et du potentiel à travailler : il faut regarder aussi les 10% de clientèle Mass Affluent et Affluent qui détiennent entre 100K€ et 1M€ d’avoirs financiers et qui représentent près de 50% des placements de l’ensemble du marché français.

Sur ce segment, le paysage a encore peu évolué et ce sont toujours les banques à réseaux et leurs filiales dédiées qui détiennent près de ¾ du marché. Alors que le marché des placements en France est globalement mature, il existe un potentiel important de développement d’offres spécifiques pour cette clientèle : une étude récente montre qu’encore près de 1 client sur 2 éligible à la Banque Privée reste suivi par un conseiller généraliste !

Quels sont les facteurs clés de succès qui permettront aux leaders de la gestion de privée de conforter leur positionnement ?

Deux facteurs feront la différence : la confiance pour asseoir le développement et le digital pour assurer la qualité de service dans de bonnes conditions de rentabilité.

L’efficacité dans la conquête de nouveaux clients passe par une relation de confiance qui permet le dialogue nécessaire pour le bon conseil. Les banques à réseaux peuvent encore développer cette confiance et gagner du terrain en s’appuyant sur leur marque forte et sur leur relation de proximité. Pour cela il est essentiel de disposer de spécialistes pour appuyer les réseaux et de mettre en place des programmes de prescription interne du conseiller généraliste vers le conseiller patrimonial.

Les réseaux d’assurance peuvent aussi développer leurs activités de placement de la même façon. C’est ce que nous avons mis en place chez AXA pour son activité de Gestion Privée. Je l’ai adapté ensuite à l’environnement de la MAIF : La filiale MAIF Solutions Financières a rapidement représenté plus de 1/3 de la collecte totale de MAIF avec une quarantaine de conseillers et elle tire maintenant la diversification et la collecte en UC du groupe !

Ce facteur confiance laisse aussi la place à de nombreuses approches spécifiques par segment et donnent des possibilités de développement de partenariats pour des acteurs spécialisés.

Le deuxième facteur clé est le digital. Pour répondre aux obligations de suivi de la clientèle dans le temps et faire de ces obligations des opportunités de vente complémentaire, il est nécessaire d’intégrer les innovations développées par les Fintechs.

Comment la Fintech et ou les Robo-Advisors peuvent-ils apporter de la valeur à un business model gagnant aujourd’hui ?

Les Robo-Advisors entreront rapidement dans le suivi des allocations pour des raisons d’efficacité et de coûts. Ce type de solution va remettre en cause les offres traditionnelles de gestion sous mandat. Elle permet par exemple de proposer une gestion conseillée automatisée à des conditions abordables.

A noter que quelques acteurs traditionnels n’ont pas attendu les Fintechs pour avancer. Generali est déjà très engagé dans ce sens : il existe de nombreuses possibilités de gestion sous mandat et d’options de gestion avec des allocations de plusieurs sociétés de gestions ou bien à la main du CGPI, le tout avec une interface sur internet réellement accessible.

Pour autant, la prise en charge par des Robo-Advisors d’une véritable approche patrimoniale globale va être plus difficile surtout en France au regard de la complexité de la fiscalité. Seul un nombre limité de Fintechs comme Grisbee tente d’aborder véritablement le sujet… ce qui laisse une place à des réseaux traditionnels en utilisant des logiciels spécialisés comme ceux des éditeurs Harvest ou Manymore.

L’articulation des services entre canaux sera cruciale. Globalement la répartition se fera de la façon suivante : Internet pour la découverte de solutions, le suivi, l’ajustement d’allocations, des opérations simples et la gestion administrative ; des conseillers spécialisés par téléphone pour animer le portefeuille, affiner les projets et relancer les clients ; des conseillers en face à face pour prospecter, animer la prescription, rassurer et finaliser les opérations les plus sensibles.

Rappelons-nous de l’exemple du célèbre Robo-Advisor Betterment aux Etats-Unis. Son développement s’est accéléré quand ils se sont associés à Fidelity. Ils ont maintenant une offre dédiée « Betterment Institutional » qui a pour promesse d’alléger le travail administratif des conseillers.

 

Nous constatons ces dernières années que beaucoup d’acteurs de la gestion privée font évoluer leur organisation actuelle de chaîne de valeur verticale en silo vers un modèle horizontal, quelles sont vos convictions sur cette tendance ?

Cette tendance va certainement continuer alors que les conseillers vont se recentrer sur ce qui est le plus important : la construction d’une relation personnalisée avec son client. Pour le client, cela lui ouvre la diversification des placements et une possibilité d’utiliser les différentes niches fiscales. Pour le conseiller, cela représente un élargissement de l’assiette des commissions nécessaire en réponse à la pression sur ses marges.

L’intégration de solutions est maintenant beaucoup plus aisée. Même le plus petit CGPI peut proposer une sélection d’offre de Mandats de gestion, FIP, FCPI, OCPI, Sofica, Immobilier géré… en utilisant les services de plateformes fonctionnant en architecture ouverte avec plusieurs fournisseurs. Je pense en particulier à des généralistes comme Sélection 1818, CD Partenaires ou Finaveo qui sont allés au-delà de la plateforme d’assurance ou encore à la plateforme Cerenicimo spécialisée sur l’immobilier. La charge administrative reste encore un frein, mais la plupart des acteurs travaillent sur la digitalisation des processus de souscription et les agrégateurs de comptes vont aider à unifier les modes de fonctionnement.

Il restera bien sûr quelques acteurs qui exploiteront un positionnement opposé. Par exemple Carmignac Gestion Privée a tout intérêt à rester sur une offre de placement centrée seulement sur sa gestion.

Comment décririez-vous la banque privée de demain ?

L’impératif de développement et les possibilités ouvertes par le digital vont pousser la majorité des acteurs à décliner des approches patrimoniales sur les clientèles Mass Affluent. Ceci nécessite des approches segmentées bien définies et aura un impact important sur les organisations et les métiers :

  • le modèle d’organisation de « ligne métier » par segment va alors s’imposer
    pour les grands réseaux,
  • les métiers des conseillers seront redéfinis avec une distinction plus forte entre les rôles de développement (chasseur) et de suivi (éleveur). Les méthodes commerciales et les process laisseront plus de place aux Robo-Advisors et aux conseillers à distance.

Contrairement à certains, je pense qu’il y aura pas un modèle gagnant unique reposant sur une taille critique comme pourrait le laisser penser le rapprochement Rothschild & Co – Banque Martin Morel tout juste annoncé ou bien encore les offres d’achats en cours sur Meeschaert. Nous aurons plusieurs mouvements :

  • il y aura une phase de consolidation pour ceux qui ne réussissent pas à changer leur modèle en interne,
  • le digital, les multiples approches segmentées et la facilité des partenariats va permettre à de multiples acteurs de se développer,
  • les lourdeurs réglementaires et la difficulté à s’appuyer sur une marque resteront un handicap pour les petits courtiers indépendants. Ceci laisse des opportunités de développement pour des acteurs comme Primonial en fédérant des CGPI ou pour les rares groupements importants de CGPI comme Cyrus Conseil. L’initiative de regroupement de 18 CGPI autour d’une structure et de la marque commune Olifan depuis 2 ans illustre bien le mouvement : nous verrons émerger différents formats de groupements de CGPI.

Alors que le paysage a évolué lentement jusqu’à maintenant, la pression sur les marges qui s’accélère sous l’effet des Fintechs et des taux bas nécessite de prendre le tournant rapidement. De la rapidité et de l’agilité seront nécessaires pour réaliser ces changements tout en répondant aussi aux nouvelles exigences réglementaires (MiFID 2, IMD 2, PRIIPs) : des sujets sur lesquels un cabinet comme Sia Partners peut aider à accélérer la mise en place.