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Comment faire évoluer le modèle économique des salles de spectacle ?

La baisse des subventions publiques oblige les salles de spectacle à revoir leur modèle économique et à développer leurs ressources propres, avec comme principal levier l’augmentation de leurs recettes de billetterie.

La baisse des subventions publiques oblige les salles de spectacle à revoir leur modèle économique et à développer leurs ressources propres, avec comme principal levier l’augmentation de leurs recettes de billetterie. Cet objectif peut être atteint par l’utilisation de techniques de yield ou revenue management issues du transport aérien et adaptées au secteur culturel ainsi qu’à ses impératifs de service public.

Une évolution du modèle économique des salles de spectacle rendue nécessaire par la baisse des subventions publiques et l’évolution du comportement des spectateurs

Un secteur culturel français très dépendant des subventions publiques

En France, les subventions publiques représentent une source essentielle de financement pour bon nombre de théâtres et d’Opéras. Pour l’Opéra national de Paris, la subvention est versée intégralement par le ministère de la Culture, mais à Lyon, elle est assumée à 80 % par les collectivités territoriales [1]. Les subventions de l’État représentent également 72 % des ressources des théâtres nationaux (Comédie Française, théâtre de l’Odéon, théâtre de la Colline et Théâtre national de Strasbourg) [2]. Du côté du privé, les disparités sont plus fortes, mais l’apport public représente 50 % du budget du théâtre du Châtelet [3], par exemple.

Ces subventions sont des sources de financement primordiales dans un secteur qui doit rester accessible au plus grand nombre,  d’autant que les coûts du spectacle vivant sont élevés. En effet, pour un Opéra qui produit de 100 à 200 spectacles lyriques par an, les coûts de personnel représentent de 65 à 70 %  des coûts fixes [5].

Comparaison des coûts par représentation

Des subventions en baisse

Dans le contexte actuel de rigueur budgétaire, les subventions accordées au secteur culturel sont bien souvent des variables d’ajustement – et d’ajustement à la baisse. Le 20 avril 2015, l’AFP dénombrait 179 spectacles (théâtre, danse, festivals, etc.) annulés depuis un an, principalement en raison de la baisse des subventions des collectivités territoriales. Sur la période 2012-2015, l’Opéra national de Paris a perdu 38,5 millions d’euros de subventions publiques [6], pour un budget annuel de l’ordre de 200 millions d’euros. La tendance semble inexorable : les revenus liés aux subventions se réduisent comme peau de chagrin.

Une évolution du comportement des spectateurs et des opportunités liées aux nouvelles technologies

Par ailleurs, les salles de spectacles doivent faire face à la révolution numérique. D’un côté, le numérique apporte de nouvelles pratiques qui peuvent entrer en concurrence avec la fréquentation des spectacles vivants et  il contraint les salles de spectacle à s’adapter à de nouveaux modèles (streaming, production de contenus numériques et autres pratiques encore embryonnaires). De l’autre, il offre de nouvelles opportunités permettant de toucher et d’attirer un public plus large (meilleure connaissance des clients et de leurs attentes grâce au big data, management communautaire, plateformes de vidéo-concerts collaboratives, etc.). Ainsi par exemple, développer le marketing en ligne permet d’accroître le volume de ventes directes. De cette façon, l’Olympia est passé de 30 % à près de 60 % de ventes directes entre 2002 et 2011 [7]. L’Opéra de Paris a quant à lui ouvert cette saison 2015/2016 sa « troisième scène » : il s’agit de courtes représentations vendues exclusivement sur le site de l’Opéra [8]. Crise des finances publiques et révolution numérique obligent : les salles de spectacle doivent revoir leur modèle économique pour maintenir des programmations ambitieuses.

Une évolution du modèle économique nécessaire

Face à la baisse des subventions publiques, le modèle économique des salles de spectacles doit évoluer et devra s’appuyer sur le développement des ressources propres des opérateurs culturels. 

En complément des subventions publiques, une part importante des ressources financières des salles de spectacle provient des recettes de billetterie (voire la quasi-totalité pour certaines salles privées et pour les stades qui ne bénéficient pas de subventions), lesquelles sont directement liées au remplissage des salles et aux tarifs proposés. Des études récentes [9] ont montré que des marges de progression non négligeables existaient pour développer ces revenus via différentes techniques d’optimisation des politiques tarifaires des salles de spectacle.

Ces techniques restent complexes à mettre en œuvre dans un secteur très attaché à la notion de service public et d’accessibilité pour tous, mais de nombreuses initiatives voient le jour, aussi bien pour des salles subventionnées que pour des salles qui ne le sont pas – ou peu.

Les pistes pour optimiser les politiques tarifaires des salles de spectacles

Différentes techniques permettent d’augmenter le revenu des salles de spectacle, sans modifier la programmation et tout en conservant une offre financièrement accessible au plus grand nombre. Ces techniques consistent à mieux ajuster les grilles tarifaires en fonction des typologies de clients et de leurs ressources financières. Elles sont basées sur les mécanismes du yield ou revenue management.

Exploiter les marges d’augmentation tarifaire

Dans de nombreux cas, des marges de progression tarifaire subsistent pour un certain nombre de spectacles et pour certaines catégories de places. Des études comparatives montrent que les tarifs des spectacles de danse, d’opéra et de musique classique des salles françaises restent globalement dans la moyenne européenne, mais sont encore loin des pratiques de certaines salles du continent nord-américain. Une augmentation modérée du prix des places des meilleures catégories est envisageable pour certains spectacles, entre autres pour les représentations d’œuvres à forte notoriété ou pour celles dont les solistes ont une grande renommée. La demande des clients aisés pour ces spectacles phares est en effet relativement inélastique au prix [10]. Ces hausses peuvent être articulées avec une baisse ciblée des tarifs pour d’autres catégories de places, de façon à améliorer l’image d’accessibilité au grand public. Des études qualitatives et quantitatives permettent de qualifier le niveau pertinent des hausses et des baisses de prix, afin de proposer des tarifs optimaux selon les offres et les catégories de place, et de maximiser ainsi le revenu espéré.

Prix moyen des billets par salle

Moduler les tarifs en fonction de la saison ou du jour

Une autre piste consiste à moduler les tarifs en fonction de la saison ou du jour de représentation des spectacles. Les tarifs peuvent être revus à la baisse pendant les périodes où la demande est plus faible, par exemple lors des vacances scolaires, ou en fonction du type de jour (baisse des tarifs les jours enregistrant généralement une fréquentation plus faible, par exemple certains lundis) pour augmenter la fréquentation. En complément, des hausses de tarifs peuvent être envisagées les jours les plus demandés (par exemple certains vendredis ou samedis) de manière à augmenter le revenu généré par la salle, à remplissage identique. Ces approches, déployées avec succès par l’Opéra national de Paris, permettent de conjuguer augmentations ciblées des tarifs et maîtrise du taux de remplissage physique, et de proposer des tarifs d’entrée de gamme attractifs sur d’autres dates, pour finalement maximiser la fréquentation et le revenu global des salles.

La mise en place d’une tarification dynamique

Ces premières pistes d’optimisation tarifaire peuvent évoluer vers la mise en œuvre d’une tarification dynamique, qui offre la capacité de moduler en temps réel les tarifs des spectacles en fonction du remplissage de la salle. Cette approche, fondée sur les techniques du yield management, est très répandue dans les secteurs du transport et de l’hôtellerie, mais est encore très peu utilisée par les organismes culturels.

La tarification dynamique permet d’ajuster finement les tarifs dans le temps, à la hausse ou à la baisse, en fonction de la demande client, de façon à optimiser le remplissage des salles et le revenu associé. Le Metropolitan Opera  de New York (MET) a mis en place une tarification dynamique dès la saison 2012/2013 et a revu le découpage de la salle en catégories. Cette approche s’est traduite par une augmentation du prix des meilleures places et une diminution du prix des places avec le moins de visibilité. En février 2012, le directeur général du MET, Peter Gelb, faisait part d’une hausse moyenne de 7,6 % du prix des billets individuels et de 4,2 % pour les abonnements, compensée en partie par une baisse du prix des places les moins chères (un tiers des places sont vendues à moins de 100 $ avec un prix minimum de 20 $ au lieu de 25 $ [11]).

La mise en œuvre progressive d’une tarification dynamique peut débuter, en amont ou en cours de saison, par des ajustements ponctuels de la répartition des places dans les différentes catégories, en fonction des prévisions de ventes de chaque spectacle. Cette approche progressive ne nécessite pas de modification de la grille tarifaire de référence. Dans cette perspective de revenue management, il sera essentiel d’articuler soigneusement les offres promotionnelles avec les mécanismes de tarification dynamique.

Les gains potentiels des différentes techniques présentées peuvent représenter entre 3 et 8 % de chiffre d’affaires supplémentaire, selon le contexte et les taux d’occupation des salles concernées, ceci au regard d’investissements limités.

Le développement de nouvelles offres de services payants

Le développement des recettes de billetterie peut être complété par le développement de nouvelles offres de services payants. La création d’offres packagées incluant, par exemple, un billet pour un spectacle et une visite des coulisses, ou la rencontre avec des artistes, un cocktail pendant l’entracte, etc., est une piste intéressante pour générer des revenus additionnels.

La visite des bâtiments lorsqu’ils représentent un intérêt historique ou architectural peut constituer une source de revenus complémentaires non négligeable. La plupart des théâtres parisiens historiques se visitent, il en est de même pour le Grand Théâtre de Bordeaux ou le Capitole de Toulouse. Les salles plus récentes ne font pas exception : la Philharmonie de Paris doit ainsi être ouverte à la visite au cours de l’automne 2015.

Les grandes institutions peuvent aussi essayer la voie des produits dérivés : l’Opéra de Paris a lancé une gamme de marinières Petit-Bateau signées Christian Lacroix.

L’évolution de la communication tarifaire, des systèmes de distribution, des organisations et des outils de pilotage

La mise en œuvre de ces nouvelles stratégies implique de modifier la communication tarifaire. La suppression des calendriers de prix des spectacles dans les brochures ou les catalogues papiers doit, par exemple, être envisagée. Ces calendriers statiques pourront être remplacés par des calendriers de prix dynamiques sur les sites internet des salles de spectacle. De manière plus globale, la communication tarifaire doit mettre en avant les tarifs d’entrée de gamme et l’accessibilité pour le plus grand nombre.

Le déploiement des différentes techniques d’optimisation tarifaire nécessitera peut-être de faire évoluer les fonctionnalités offertes par les systèmes de distribution (création de nouvelles procédures de chargement et de mise à jour des tarifs dans les systèmes billettiques, refonte du site internet pour proposer une information plus dynamique sur le calendrier des prix et la configuration des salles par catégorie) et le développement de nouveaux canaux de vente (création d’une application pour la vente sur smartphone et tablette, par exemple).

Enfin, le lancement de ces chantiers implique une réflexion interne sur les organisations (quels départements sont impactés, qui doit piloter la nouvelle stratégie tarifaire, quelles nouvelles compétences sont nécessaires, comment doit circuler l’information, etc.), ainsi que sur les données et les outils nécessaires à leur pilotage (nouvelles données à collecter et à analyser, nouveaux indicateurs de reporting à définir, mise en œuvre d’un outil de pilotage adapté, etc.).

[1]  60 % par la ville, 10 % par le département, 10 % par la région.

[2] Ministère de la Culture et de la communication, Théâtre et spectacles. Chiffres clés 2013.

[3] Europe 1, « Théâtre du Châtelet : "33% d'autofinancement" », 26 mars 2013.

[4] Rapport d’activité 2013, p. 86 et Budget 2011, in « L’Opéra national de Lyon, une institution en marche », dossier de presse 2011-2012 ; article du Parisien, 29 mai 2015 : http://www.leparisien.fr/bordeaux-33000/opera-de-bordeaux-en-2015-16-deu... ; article de Concert Classic, 21 février 2015 : http://www.concertclassic.com/article/fabien-robert-maire-adjoint-la-cul....

[5] Jean-Claude Tarondeau, Philippe Agid, Management des Opéras, Descartes & Cie, 2011, p. 206.

[6] « La baisse des subventions publiques pousse l’Opéra de Paris à augmenter ses tarifs », La Gazette des communes, 4 mars 2014.

[7] Franck Bouaziz, « Arnaud Delbarre : "L'Olympia, la seule salle utilisée comme média dans le marketing de la carrière d'un artiste" », LeNouvelEconomiste.fr, 24 août 2011.

[8] Site de l’Opéra de Paris : https://www.operadeparis.fr/saison-15-16, octobre 2015.

[9] IGF, « Évaluation du développement des ressources propres des organismes culturels de l’état », étude de mars 2015.

[10] Demande inélastique au prix : une augmentation ou une baisse des prix a peu d’impact sur la demande client.

[11]Blog du Wall Street Journal : http://blogs.wsj.com/metropolis/2012/02/23/metropolitan-opera-adopts-dyn..., article du 23 février 2012 ; octobre 2015.